Page:Nerval - Le Rêve et la Vie, Lévy, 1868.djvu/405

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conservation parfaite. Un magasin de nouveautés parisiennes s’éclaire auprès, et ses demoiselles sont vives et rieuses comme dans la Fiancée de M. Scribe… Ce qui fait le charme, pour moi, des petites villes un peu abandonnées, c’est que j’y retrouve quelque chose du Paris de ma jeunesse. L’aspect des maisons, la forme des boutiques, certains usages, quelques costumes… À ce point de vue, si Saint-Germain rappelle 1830, Pontoise rappelle 1820 ; — je vais plus loin encore retrouver mon enfance et le souvenir de mes parents.

Cette fois, je bénis le chemin de fer, — une heure au plus me sépare de Saint-Leu : — le cours de l’Oise, si calme et si verte, découpant au clair de lune ses îlots de peupliers, l’horizon festonné de collines et de forêts, les villages aux noms connus qu’on appelle à chaque station, l’accent déjà sensible des paysans qui montent d’une distance à l’autre, les jeunes filles coiffées de madras, selon l’usage de cette province, tout cela m’attendrit et me charme : il me semble que je respire un autre air ; et, en mettant le pied sur le sol, j’éprouve un sentiment plus vif encore que celui qui m’animait naguère en repassant le Rhin : la terre paternelle, c’est deux fois la patrie.

J’aime beaucoup Paris, où le hasard m’a fait naître, mais j’aurais pu naître aussi bien sur un vaisseau, et Paris, qui porte dans ses armes la bari ou nef mystique des Égyptiens, n’a pas dans ses murs cent mille Parisiens véritables. Un homme du Midi, s’unissant là par hasard à une femme du Nord, ne peut produire un enfant de nature lutécienne. On dira à cela : « Qu’importe ! » Mais demandez un peu aux gens de province s’il importe d’être de tel ou tel pays.

Je ne sais si ces observations ne semblent pas bizarres ; cherchant à étudier les autres dans moi-même, je me dis qu’il y a dans l’attachement à la terre beaucoup de l’amour de la famille. Cette piété qui s’attache aux lieux est aussi une portion du noble sentiment qui nous unit à la patrie. En revanche, les cités et les villages se parent avec fierté des illustrations qui proviennent de leur sol. Il n’y a plus là division ou jalousie