Page:Nerval - Le Rêve et la Vie, Lévy, 1868.djvu/75

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les choses, et vous avez eu bien des preuves de mon empire sur moi-même. Suis-je un enfant, quoique je vous aime avec toute l’imprudence d’un enfant ? Non ; je suis capable de vous faire respecter aux yeux de tous ; je suis digne de votre confiance, et désormais toute mon intelligence à vous servir, et tout mon sang pour vous défendre au besoin. Jamais une femme n’a rencontré tant d’attachement joint à quelque importance réelle, et toutes en seraient flattées. Maintenant, je n’ai plus qu’un mot à vous dire. Admettez une preuve. Il faut un homme bien épris pour qu’il ne recule pas devant une question de vie et de mort. Si vous voulez savoir jusqu’à quel point vous êtes aimée ou estimée, le résultat d’une démarche que je puis faire vous apprendra sur quel bras il faut compter. Si je me suis trompé dans tous mes soupçons, rassurez-moi, je vous en prie ; épargnez-moi quelques ridicules, et surtout celui de me commettre avec la parodie de mes émotions les plus chères.

Je vous jure que vous ne risquez rien à m’entendre ; je vous crains autant que je vous aime ; votre regard est pour moi ce qu’il y a de plus doux et de plus terrible. Ce n’est que loin de vous que je m’abandonne aux idées les plus extrêmes, les plus fatales. Madame, vous m’avez dit qu’il fallait savoir trouver le chemin de votre cœur : eh bien, je suis trop agité pour chercher, pour trouver ; ayez pitié de moi, guidez-moi ! Je ne sais, il y a des obstacles que je touche sans les voir, des ennemis que j’aurais besoin de connaître ! Il y a eu quelque chose ces jours-ci qui vous a changée à mon égard, car vous êtes trop indulgente et trop sensée pour vous offenser vraiment de quelques inégalités, de quelques folies, si excusables dans ma situation. Cela vient-il d’ailleurs ? dites-le moi ; ma pensée vous préoccupe, et je ne puis la pénétrer ; à qui en voulez-vous ? qui vous a offensée ? qui vous a trahie ? Donnez-moi quelque chose où me prendre, quelqu’un à insulter, à combattre ! j’en ai besoin ! que je vous serve sans espoir et sans récompense, et que je vous délivre de moi, s’il plaît à Dieu ! mais que je sorte au mois de l’état de doute où je vis.