Page:Nerval - Les Illuminés, Lévy, 1868.djvu/43

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forcé de livrer mon moral pour subsister quelques jours de plus, comme l’Anglais qui vend son corps. »

En lisant ce premier aveu, qui n’a pas dû être une de ses moindres souffrances, on se sent pris de pitié pour ce pauvre vieillard qui, un pied dans la tombe, vient, avec le courage et l’énergie du désespoir, exhumer les fautes de sa jeunesse, les vices de son âge mûr, et qui peut-être les exagère pour satisfaire le goût dépravé d’une époque qui avait admiré Faublas et Valmont. On a abusé depuis de ce procédé tout réaliste qui consiste à faire de l’homme lui-même une sorte de sujet anatomique. — Nous chercherons ici à en faire tourner l’enseignement vers l’étude de certains caractères, chez qui la personnalité atteint aux plus tristes illusions et provoque les plus inexplicables aveux. Nous essaierons de raconter cette existence étrange, sans aucune prévention comme sans aucune sympathie, avec les documents fournis par l’auteur lui-même, et en tirant de ses propres confessions le fait instructif des misères qui fondirent sur lui comme la punition providentielle de ses fautes. Notre époque n’est pas moins avide que le siècle passé de mémoires et de confidences ; la simplicité et la franchise sont toutefois portées moins loin aujourd’hui par les écrivains. Ce serait une comparaison instructive à faire dans tous les cas, si la vérité pouvait avoir quelque chose de l’attrait du roman.

III

PREMIÈRES ANNÉES

Le village de Sacy, situé en Champagne, sur les confins de la Bourgogne, à cinquante lieues de Paris et trois d’Auxerre, est traversé dans toute sa longueur d’une seule rue composée de chaque côté d’une centaine de maisons. À l’une des extrémités, appelée la Porte là-haut, en traversant un ruisseau nommé la Farge, on trouve l’enclos de la Bretonne, dont les