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VOYAGE EN ORIENT.

sines de fer-blanc et les tentes, coussins ou lits de caoutchouc estampillés de l’improved patent anglaise.

— Cependant, lui dis-je, je voudrais bien trouver chez vous quelque chose qui me soit utile.

— Tenez, dit madame Bonhomme, je suis sûre que vous avez oublié d’acheter un drapeau. Il vous faut un drapeau.

— Mais je ne pars pas pour la guerre !

— Vous allez descendre le Nil… Vous avez besoin d’un pavillon tricolore à l’arrière de votre barque, pour vous faire respecter des fellahs.

Et elle me montrait, le long des murs du magasin, une série de pavillons de toutes les marines.

Je tirais déjà vers moi la hampe à pointe dorée d’où se déroulaient nos couleurs, lorsque madame Bonhomme m’arrêta le bras.

— Vous pouvez choisir ; on n’est pas obligé d’indiquer sa nation. Tous ces messieurs prennent ordinairement un pavillon anglais ; de cette manière, on a plus de sécurité.

— Oh ! madame, lui dis-je, je ne suis pas de ces messieurs-là.

— Je l’avais bien pensé, me dit-elle avec un sourire.

J’aime à croire que ce ne seraient pas des gens du monde de Paris qui promèneraient les couleurs anglaises sur ce vieux Nil, où s’est reflété le drapeau de la République. Les légitimistes en pèlerinage vers Jérusalem choisissent, il est vrai, le pavillon de Sardaigne. Cela, par exemple, n’a pas d’inconvénient.


II — UNE FÊTE DE FAMILLE


Nous partons du port de Boulaq ; le palais d’un bey mamelouk, devenu aujourd’hui l’École polytechnique, la mosquée blanche qui l’avoisine, les étalages des potiers qui exposent sur la grève ces bardaques de terre poreuse fabriquées à Thèbes qu’apporte la navigation du haut Nil, les chantiers de construction qui bordent encore assez loin la rive droite du fleuve, tout cela disparait en quelques minutes. Nous courons une bordée