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VOYAGE EN ORIENT.

plus frêles, les moulures à jour, les figurines, les campanilles dentelées, se construisent en marbre. Nous exécutons avec la pierre ce que vous ne taillez qu’en bois. Au surplus, ce n’est pas à de si vaines fantaisies que nos ancêtres ont demandé la gloire. Ils ont accompli une œuvre qui rendra leur souvenir éternellement béni.

— Cette œuvre, quelle est-elle ? Le récit des grandes entreprises exalte la pensée.

— Il faut confesser tout d’abord que l’heureuse, la fertile contrée de l’Iémen était jadis aride et stérile. Ce pays n’a reçu du ciel ni fleuves ni rivières. Mes aïeux ont triomphé de la nature et créé un Éden au milieu des déserts.

— Reine, retracez-moi ces prodiges.

— Au cœur des hautes chaînes de montagnes qui s’élèvent à l’orient de mes États, et sur le versant desquelles est située la ville de Mahreb, serpentaient çà et là des torrents, des ruisseaux qui s’évaporaient dans l’air, se perdaient dans des abîmes et au fond des vallons avant d’arriver à la plaine complètement desséchée. Par un travail de deux siècles, nos anciens rois sont parvenus à concentrer tous ces cours d’eau sur un plateau de plusieurs lieues d’étendue, où ils ont creusé le bassin d’un lac sur lequel on navigue aujourd’hui comme dans un golfe. Il a fallu étayer la montagne escarpée sur des contre-forts de granit plus hauts que les pyramides de Gizèh, arc-boutés par des voûtes cyclopéennes sous lesquelles des armées de cavaliers et d’éléphants circulent facilement. Cet immense et intarissable réservoir s’élance en cascades argentées dans des aqueducs, dans de larges canaux qui, subdivisés en plusieurs biez, transportent les eaux à travers la plaine et arrosent la moitié de nos provinces. Je dois à cette œuvre sublime les cultures opulentes, les industries fécondes, les prairies nombreuses, les arbres séculaires et les forêts profondes qui font la richesse et le charme du doux pays de l’Iémen. Telle est, seigneur, notre mer d’airain, sans déprécier la vôtre, qui est une charmante invention.

— Noble conception ! s’écria Soliman, et que je serais fier