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VOYAGE EN ORIENT.

— Est-il donc si sage, n’étant plus jeune, de convoiter la rose des Sabéens ?

— Des flatteries ! Bonne Sarahil, tu t’y prends trop matin.

— N’éveillez pas ma sévérité encore endormie ; je dirais…

— Eh bien, dis !

— Que vous aimez Soliman ; et vous l’auriez mérité.

— Je ne sais…, répondit la jeune reine en riant ; je me suis sérieusement questionnée à cet égard, et il est probable que le roi ne m’est pas indifférent.

— S’il en était ainsi, vous n’eussiez pas examiné ce point délicat avec tant de scrupule. Non, vous combinez une alliance… politique, et vous jetez des fleurs sur l’aride sentier des convenances. Soliman a rendu vos États, comme ceux de tous ses voisins, tributaires de sa puissance, et vous rêvez le dessein de les affranchir en vous donnant un maître dont vous comptez faire un esclave. Mais prenez garde !…

— Qu’ai-je à craindre ? il m’adore.

— Il professe envers sa noble personne une passion trop vive pour que ses sentiments à votre égard dépassent le désir des sens, et rien n’est plus fragile. Soliman est réfléchi, ambitieux et froid.

— N’est-il pas le plus grand prince de la terre, le plus noble rejeton de la race de Sera, dont je suis issue ? Trouve dans le monde un prince plus digne que lui de donner des successeurs à la dynastie des Hémiarites !

— La lignée des Hémiarites, nos aïeux, descend de plus haut que vous ne le pensez. Voyez-vous les enfants de Sem commander aux habitants de l’air ?… Enfin, je m’en tiens aux prédictions des oracles : vos destinées ne sont point accomplies, et le signe auquel vous devez reconnaître votre époux n’a point apparu, la huppe n’a point encore traduit la volonté des puissances éternelles qui vous protègent ?

— Mon sort dépendra-t-il de la volonté d’un oiseau ?

— D’un oiseau unique au monde, dont l’intelligence n’appartient pas aux espèces connues ; dont l’âme, le grand prêtre