Page:Nerval - Voyage en Orient, II, Lévy, 1884.djvu/161

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
149
LES NUITS DU RAMAZAN.

tiles, l’œuvre admirable resplendit aux regards étonnés de ceux qui l’ont accomplie. Soudain, les barrières dressées par les ouvriers s’abattent : la foule se précipite ; le bruit se propage jusqu’au palais. Soliman craint une sédition ; il accourt, et je l’accompagne. Un peuple immense se presse sur nos pas. Cent mille ouvriers en délire et couronnés de palmes vertes nous accueillent. Soliman ne peut en croire ses yeux. La ville entière élève jusqu’aux nues le nom d’Adoniram.

— Quel triomphe ! et qu’il doit être heureux !

— Lui ! génie bizarre ! âme profonde et mystérieuse !… À ma demande, on l’appelle, on le cherche, les ouvriers se précipitent de tous côtés… vains efforts ! Dédaigneux de sa victoire, Adoniram se cache ; il se dérobe à la louange : l’astre s’est éclipsé, « Allons, dit Soliman, le roi du peuple nous a disgraciés. » Pour moi, en quittant ce champ de bataille du génie, j’avais l’âme triste et la pensée remplie du souvenir de ce mortel, si grand par ses œuvres, plus grand encore par son absence en un moment pareil.

— Je l’ai vu passer l’autre jour, reprit une vierge de Saba ; la flamme de ses yeux a effleuré mes joues et les a rougies : il a la majesté d’un roi.

— Sa beauté, poursuivit une de ses compagnes, est supérieure à celle des enfants des hommes ; sa stature est imposante et son aspect éblouit. Tels ma pensée se représente les dieux et les génies.

— Plus d’une, parmi vous, à ce que je suppose, unirait volontiers sa destinée à celle du noble Adoniram ?

— Ô reine ! que sommes-nous devant la face d’un si haut personnage ? Son âme est dans les nuées, et ce cœur si fier ne descendrait pas jusqu’à nous.

Des jasmins en fleur que dominaient des térébinthes et des acacias, parmi lesquels de rares palmiers inclinaient leurs chapiteaux blêmes, encadraient le lavoir de Siloé. Là croissaient la marjolaine, les iris gris, le thym, la verveine et la rose ardente de Saaron. Sous ces massifs de buissons étoiles, s’éten-