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VOYAGE EN ORIENT.

daient, çà, et là, des bancs séculaires au pied desquels gazouillaient des sources d’eau vive, tributaires de la fontaine. Ces lieux de repos étaient pavoisés de lianes qui s’enroulaient aux branches. Les apios aux grappes rougeâtres et parfumées, les glycines bleues s’élançaient, en festons musqués et gracieux, jusqu’aux cimes des pâles et tremblants ébéniers.

Au moment où le cortège de la reine de Saba envahit les abords de la fontaine, surpris dans sa méditation, un homme, assis sur le bord du lavoir, où il abandonnait une main aux caresses de l’onde, se leva, dans l’intention de s’éloigner. Balkis était devant lui ; il leva les yeux au ciel, et se détourna plus vivement.

Mais elle, plus rapide encore, et se plaçant devant lui :

— Maître Adoniram, dit-elle, pourquoi m’éviter ?

— Je n’ai jamais recherché le monde, répondit l’artiste, et je crains le visage des rois.

— S’offre-t-il donc en ce moment si terrible ? répliqua la reine avec une douceur pénétrante qui arracha un regard au jeune homme.

Ce qu’il découvrit était loin de le rassurer, La reine avait déposé les insignes de la grandeur, et la femme, dans la simplicité de ses atours du matin, n’était que plus redoutable. Elle avait emprisonné ses cheveux sous le pli d’un long voile flottant, sa robe diaphane et blanche, soulevée par la brise curieuse, laissait entrevoir un sein moulé sur la conque d’une coupe. Sous cette parure simple, la jeunesse de Balkis semblait plus tendre, plus enjouée, et le respect ne contenait plus l’admiration ni le désir. Ces grâces touchantes qui s’ignoraient, ce visage enfantin, cet air virginal, exercèrent sur le cœur d’Adoniram une impression nouvelle et profonde.

— À quoi bon me retenir ? dit-il avec amertume. Mes maux suffisent à mes forces, et vous n’avez à m’offrir qu’un surcroît de peines. Votre esprit est léger, votre faveur passagère, et vous n’en présentez le piège que pour tourmenter plus cruel-