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LES NUITS DU RAMAZAN.

sonnage vient faire une visite au sultan, il est forcé de passer devant cet immense égrugeoir, où il peut avoir la chance de terminer ses jours. La terreur salutaire qui en résulte est cause qu’il n’y a eu encore qu’un seul muphti qui se soit exposé à ce supplice. Les coutumes chrétiennes n’ont jamais rien établi de pareil pour les papes.

L’affluence était si grande, qu’il me parut impossible d’entrer même dans la première cour. J’y renonçai, bien que le public ordinaire pût pénétrer jusque-là et voir les dames du vieux sérail descendre de leur voiture. Les torches et les lances à feu répandaient çà et là des flammèches sur les habits, et, de plus, une grande quantité d’estafiers distribuaient force coups de bâton pour établir l’alignement des premières rangées. D’après ce que je puis savoir, il ne s’agissait que d’une scène de parade et de réception. La nouvelle esclave du sultan devait être reçue dans les appartements par les sultanes, au nombre de trois, et par les cadines, au nombre de trente ; et rien ne pouvait empêcher que le sultan ne passât la nuit avec l’aimable vierge de la veille du Baïram. Il faut admirer la sagesse musulmane, qui a prévu le cas où une favorite, peut-être stérile, absorberait l’amour et les faveurs du chef de l’État.

Le devoir religieux qui lui est imposé cette nuit-là répond autant que possible de la reproduction de sa race. Tel est aussi pour les musulmans ordinaires le sens des obligations que leur impose la première nuit du Baïram.

Cette abstinence de tout un mois, qui renouvelle probablement les forces de l’homme, ce jeûne partiel qui l’épure doivent avoir été calculés d’après des prévisions médicales analogues à celles que l’on retrouve dans la loi juive. N’oublions pas que l’Orient nous a donné la médecine, la chimie et des préceptes d’hygiène qui remontent à des milliers d’années, et regrettons que nos religions du Nord n’en représentent qu’une imitation imparfaite. — Je regretterais qu’on eût pu voir dans le tableau des coutumes bizarres rapportées plus haut l’intention d’inculper les musulmans de libertinage.