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APPENDICE.


xvi — LETTRE À THÉOPHILE GAUTIER[1]


Quel bonheur que tu m’aies écrit par un journal et non par une lettre ! La lettre dormirait à l’heure qu’il est au bureau restant du Grand-Caire, où je ne suis plus, ou bien elle courrait encore sur les traces de ton volage ami de l’une à l’autre des échelles du Levant ; tandis que le journal, tu l’avais bien prévu, le journal, arrivant à la fois à tous les lieux où je pouvais être, me trouvait justement à Constantinople où je suis. De plus, le monde est si petit et la presse est si grande, que je vais pouvoir te répondre à vingt jours de date par la feuille du Bosphore la plus répandue à Paris, que la bienveillance d’anciens amis met à ma disposition. Cela n’est-il pas merveilleux, et même inquiétant pour la direction des postes ? Quant au public, peut-être ne serait-il que trop disposé à respecter nos secrets ; je veux dire surtout les miens.

Mais tu m’entretiens d’une affaire qui l’intéresse autant que nous, et qui même ne doit pas être moins populaire à Stamboul qu’à Paris, puisque, si j’en crois ton récit, l’œuvre que tu viens de produire ferait honneur à l’imagination d’un vrai poëte musulman.

La Péri : c’est à la fois un ballet et un poëme : un poëme comme Medjnoun et Léila, un ballet comme tant de ballets charmants que j’ai vu danser chez d’aimables et hospitaliers personnages de l’Orient. Ces derniers ne s’étonneraient guère que d’une chose : c’est qu’il faille à Paris, pour voir ton ballet, aller entasser par milliers dans une sorte de cage en bois doré

  1. Pendant que Gérard de Nerval voyageait en Orient, M. Théophile Gautier, ayant donné le ballet de la Péri à l’Académie royale de musique et de danse, adressa à son ami le compte rendu de la représentation, par la voie de feuilleton de la Presse. En réponse à ce compte rendu, Gérard fit insérer dans le Journal de Constantinople la lettre que nous reproduisons ici, et dans laquelle on retrouve cet esprit délicat, cette poésie pleine de cœur, cette douce philosophie qui faisaient aimer à la fois, chez Gérard de Nerval, et l’homme et l’écrivain. (Note des Éditeurs.)