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VOYAGE EN ORIENT.

de cuivre, et très-peu garnie de divans ; le tout sans narguilé ni chibouque, et sans café ni sorbets.

Un habitant un peu aisé d’ici réunirait ses amis sur de bons coussins, ses femmes derrière un grillage, et ferait jouer la Péri par des danseuses ou par des danseurs, selon son goût ; et je suis certain qu’il serait très-édifié de la composition et très-ravi des détails chorégraphiques dont Coraly l’a brodée. Il lui manquerait toutefois Carlotta la divine, que l’Opéra retient par un fil d’or ; mais qui sait si quelque péri véritable n’obéirait pas au lieu d’elle à l’appel d’un zélé croyant ? Pourtant, j’en conviens, l’Orient n’est plus la terre des prodiges, et les péris n’y apparaissent guère, depuis que le Nord a perdu ses fées et ses sylphides brumeuses. Et surtout, ce n’est pas au Caire que ces filles du ciel viendraient chercher des amours platoniques et des cœurs fidèles aux vieilles croyances de l’Hedjaz. L’emploi divin de ces dames risquerait d’être défini un peu matériellement par une police sévère, qui les enverrait se faire des sectateurs aux environs de la première cataracte, parmi les ruines d’Esné.

Ô mon ami ! tu m’avais demandé des détails locaux et pittoresques sur les aimées du Caire et leurs danses tant célébrées ; je m’étais chargé de faire des recherches touchant le pas de l’abeille et autres cachuchas locales ; j’espérais me poser comme un Charles Texier chorégraphique, un Lipsins correspondant de l’Académie de musique. Et tu t’es étonné de ce que, loin de répondre à une mission si facile et si charmante, je ne t’aie décrit que des costumes d’Anglais, des défroques de franguis, et des haillons de fellahs… Hélas ! c’est qu’au moment où tu attachais toutes les splendeurs de l’Opéra au Caire de ton imagination, moi, je ne trouvais à réunir au vrai Caire que les éléments baroques d’une pantomime de Deburau.

Si je ne t’ai rien dit des danses du Caire, c’est qu’il eût été dangereux alors de t’ôter tes illusions. La première danse que j’ai vue avait lieu dans un brillant café du quartier franc, vulgairement nommé Mousky. Je voudrais bien te mettre un peu