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LORELY.

animation, qui étincelle comme les prismes irisés de la neige aux rayons d’un soleil d’hiver.

En Hollande, on boit le café comme du thé ; seulement, il est plus léger que chez nous. — Je sentis moi-même la nécessité d’en avaler plusieurs tasses, pour corriger l’amas de crème frite au beurre dont ces belles vous bourrent en éclatant de rire. — Capitaine, disent-elles, capitaine ! ah ! capitaine ! — Et l’on se laisse faire comme un enfant, en admirant ces jolies têtes couronnées, ces longs cous onduleux et ces bras blancs irrésistibles. — Pourquoi vous appellent-elles capitaine, exactement comme le font les jolies Grecques dans les échelles du Levant ? C’est qu’elles sont aussi de la famille des antiques sirènes. Le long des quais sont rangés les bateaux qui transportent de ville en ville leurs kiosques chinois, que l’on démonte après les quinze jours de chaque kermesse. Le passant est toujours pour elles un navigateur, un Ulysse errant, qui ne se méfie pas assez souvent des enchantements de Circé. — Cela me fait souvenir qu’il existe au musée de la Haye trois sirènes à queue de poisson conservées en momies, et dont on serait mal venu à contester l’authenticité.

Sortons enfin de cette rue merveilleuse, et, laissant à droite la bibliothèque, suivons encore les longues allées de la place jusqu’à l’opéra français. Des deux côtés règne une exposition d’horticulture où les arbustes fleuris de l’Inde et du Japon forment une haie délicieuse, bordée sur le devant des tulipes les plus rares. Ensuite recommence une nouvelle cité de baraques, de tentes et de pavillons destinés aux saltimbanques, aux hercules et aux animaux savants. La foule se pressait surtout devant une femme à deux nez et à trois yeux, dont l’un occupe le milieu du front. Ce dernier n’est pas très ouvert, mais les deux nez sont incontestables, et donnent à la femme, quand elle se tourne, deux profils réguliers et différents. Il faut recommander ce phénomène aux méditations de M. Geoffroy Saint-Hilaire. J’ai pu voir encore le dernier acted’Haydée et complimenter l’impresario, qui est l’un des fils de Monrose.