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LORELY.

Le lendemain, j’ai fait un tour dans le célèbre bois de la Haye, qui, comme on sait, est planté sur pilotis, ce qui a été nécessaire pour affermir le terrain. — En revanche, j’ai vu un spectacle non moins étrange que les sirènes et la cyclopesse. On va croire que je rédige une relation à la manière de Marco Polo : ce n’était pas moins qu’une troupe de singes folâtrant en liberté dans les tilleuls qui bordent le canal. Les corbeaux, troublés dans leur asile, ne pouvaient comprendre cette invasion d’animaux inconnus, et défendaient avec acharnement leurs malheureuses couvées. On riait à se tordre au pied des arbres. Il est assez rare de voir rire des Hollandais ; mais, quand ils s’y mettent, cela ne finit plus.

Les soldats du poste montraient le corps d’un corbeau auquel l’un des singes, étourdi de ses piaillements, avait tordu le cou fort habilement. Il n’en avait aucun remords, et tantôt s’amusait à croquer des bourgeons, tantôt se livrait sur un de ses pareils à des recherches d’entomologie. — Ces singes étaient simplement les compagnons ordinaires d’un certain compagnon d’Ulysse pesant douze cents livres, et amené pour la fête sur un bateau dont il remplissait la cabine. Pendant le jour, on lâchait les singes pour les distraire d’une société sans doute monotone, et il suffisait de les siffler pour les faire rentrer le soir.

La kermesse continuait dans tout son éclat, lorsque j’ai repris le chemin de fer pour Amsterdam. Après la station de Leyde et celle de Haarlem, où brillaient encore les dernières tulipes de la saison, le chemin de fer passe comme une bande à peine bordée de terre entre deux mers, dont la ligne extrême coupe l’horizon avec la netteté brillante d’un damas. Celle de Haarlem, plus paisible, et l’autre, plus orageuse, offrent un contraste curieux par les reflets du ciel et la teinte des eaux ; mais le plus merveilleux, c’est l’œuvre de tels hommes qui, non contents de défier les éléments avec ces digues qu’on aperçoit au loin au delà des dunes stériles, ont jeté de Haarlem à Amsterdam ce formidable trait d’union dont il semble que les vais-