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LES NUITS DU RAMAZAN.

me voir à la dérobée par les moucharabyrs (jalousies). De plus, elle peut être tentée de sortir avec ses esclaves pour aller au bain… Aucun mari, hélas ! ne peut empêcher sa femme de sortir sous ce prétexte… Alors, elle pourra m’admirer à loisir… Ô imprudent ami ! pourquoi m’avoir donné cette surveillance ?

Ici, la pièce tourne au fantastique. Caragueus, pour se soustraire aux regards de la femme de son ami, se couche sur le ventre, en disant :

— J’aurai l’air d’un pont…

Il faudrait se rendre compte de sa conformation particulière pour comprendre cette excentricité. On peut se figurer Polichinelle posant la bosse de son ventre comme une arche, et figurant le pont avec ses pieds et ses bras. Seulement, Caragueus n’a pas de bosse sur les épaules. Il passe une foule de gens, des chevaux, des chiens, une patrouille, puis enfin un arabas traîné par des bœufs et chargé de femmes. L’infortuné Caragueus se lève à temps pour ne pas servir de pont à une aussi lourde machine.

Une scène plus comique à la représentation que facile à décrire succède à celle où Caragueus, pour se dissimuler aux regards de la femme de son ami, a voulu avoir l’air d’un pont. Il faudrait, pour se l’expliquer, remonter au comique des atellanes latines… Aussi bien Caragueus lui-même n’est-il autre que le Polichinelle des Osques, dont on voit encore de si beaux exemplaires au musée de Naples. Dans cette scène, d’une excentricité qu’il serait difficile de faire supporter chez nous, Caragueus se couche sur le dos, et désire avoir l’air d’un pieu. La foule passe, et tout le monde dit :

— Qui est-ce qui a planté là ce pieu ? Il n’y en avait pas hier. Est-ce du chêne ? est-ce du sapin ?

Arrivent des blanchisseuses, revenant de la fontaine, qui étendent du linge sur Caragueus. Il voit avec plaisir que sa supposition a réussi. Un instant après, on voit entrer des esclaves menant des chevaux à l’abreuvoir ; un ami les ren-