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Page:Nichault - Ellenore t1.djvu/14

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sa misère, et s’amuser si franchement des ridicules des bourreaux qu’il avait bravés.

J’avais vu souvent le vicomte chez madame de Courcelles, vieille femme d’esprit, dont j’habitais la maison. Elle et moi lui avions souvent prêché la prudence, mais inutilement. L’aspect même de la fatale charrette qu’il rencontrait en venant nous voir ne l’empêchait pas de faire des épigrammes beaucoup trop plaisantes sur les membres du comité de Salut public, sur les orateurs des sections, enfin sur les autorités féroces et burlesques qui régnaient alors. Il poussait l’audace jusqu’à conserver sa coiffure poudrée, ses ailes de pigeon, son habit ordinaire, sa tournure, ses manières de l’ancien régime et jusqu’au langage enfantin et aux locutions étranges qu’il avait mises à la mode aux soupers de la reine.

Ce courage, le moins utile sans doute, lui donnait un singulier avantage sur l’homme qu’une faiblesse inexplicable avait jeté au milieu d’une bande de terroristes, et cela sans partager leurs principes politiques ni leurs fureurs sanguinaires ; faiblesse inexplicable qui a donné a Chénier toutes les apparences d’une infâme complicité, et qui a fourni à la calomnie tous les instruments du long martyre qui a désolé et abrégé son existence.

J’avais connu dans mon enfance le père de Marie et d’André Chénier ; j’étais en conséquence prévenue très-favorablement pour ce dernier et très-mal pour l’autre. L’idée de lui devoir de la reconnaissance m’était pénible. Aussi fus-je très-contente d’apprendre la part qu’avait eue madame Mansley dans la sortie de prison de mon mari. C’est elle qui avait prié Benjamin Constant d’intéresser le député au sort du jeune prisonnier. C’est