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Page:Nichault - Ellenore t1.djvu/15

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elle qui avait obtenu qu’on signât sa mise en liberté un jour plus tôt. Ce jour gagné, c’était la vie.

Le dîner se passa en discussions politiques, en sarcasmes amers, de la part de Chénier, contre l’esprit superficiel et la vieille frivolité des gens de l’ancienne cour ; en moqueries très-gaies, de la part du vicomte, sur les vertus civiques des fiers républicains, qui mouraient de peur les uns des autres ; en plaisanteries douces, fines et malignes, de Benjamin Constant, sur les prétentions, les ridicules des vieux marquis de l’Œil-de-Bœuf et des jeunes Romains du Directoire ; en phrases conciliantes, de la part de Garat, dont le républicanisme se disposait dès lors à tous les sacrifices qu’il a faits depuis au règne de l’empereur.

Cette réunion de toutes personnes qui se détestaient réciproquement, et qui faisaient tant de frais pour se plaire, prouve à quel point l’esprit avait alors de puissance, et comment on pouvait mettre de côté les opinions et les antipathies pour jouir sans entraves de tous les charmes de la conversation. Le caractère et la position de la maîtresse de la maison aidait à cette singulière harmonie : également fière de sa naissance, de son titre aboli et des opinions libérales qui avaient ajouté à la célébrité de son mari, aimant la Révolution dont il avait été le prôneur, abhorrant la Terreur dont il avait été la victime, mêlant le regret des anciens préjugés à l’enthousiasme des idées nouvelles, la marquise de Condorcet s’arrangeait fort bien de toutes les opinions, et les plus opposées trouvaient chez elle un point de contact ; de là vient qu’elle protégeait tous les partis et pouvait les mettre en présence sans danger. De plus elle était belle, et l’homme le plus orgueilleux de son carac-