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Page:Nichault - La Comtesse d Egmont.pdf/96

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pour ainsi dire une vérité électrique, qui porte la conviction sur ce qu’elle atteint par l’unique vertu d’une chaîne invisible : c’est la sensation d’être aimé. Trouble ineffable, sur lequel l’amour-propre se trompe quelquefois ; mais l’amour !… jamais.

C’est presque un bonheur que de souffrir à deux, quand on s’est vu condamné à pleurer seul. Les jours qui suivirent confirmèrent madame d’Egmont dans la certitude qu’elle possédait toujours le cœur du comte Louis. Il ne négligeait pas une occasion de l’en convaincre. Des gens généreusement payés l’informaient le matin de ce que ferait madame d’Egmont le soir, et il n’allait que là où il savait la rencontrer.

Comme il n’osait pas l’aborder dans le monde, et qu’elle n’aurait pas consenti à le recevoir particulièrement, c’est le retentissement de ce qu’ils éprouvaient l’un pour l’autre qui causait toutes leurs émotions. Le langage muet des impressions que le moindre événement, un livre, une comédie, une romance, font naître, s’établit si vite entre deux personnes dont les cœurs s’entendent ! À chaque minute on se surprend d’accord sur le sujet qui s’agite ; l’un donne-t-il son avis, on le croirait dicté par l’autre. C’est le même esprit, la même gaieté, la même tristesse ; enfin, c’est la même existence en deux personnes.

Ô vous qu’un pareil sort afflige, n’en murmurez pas ; vous avez le premier des bonheurs ! Quand on a tous les biens du ciel, on peut se passer de ceux de la terre.

L’âme pure de madame d’Egmont avait le sentiment de cette jouissance divine, et s’y livrait avec ravissement ; son beau front avait repris toute sa sérénité ; la fraîcheur de son teint, le feu pénétrant de ses regards, tout s’était ranimé chez elle avec la vie de son cœur.

C’était la seule différence qui existât entre elle et le comte Louis. Le plaisir de la voir souvent, de la forcer à reconnaître dans chacune de ses actions l’amour qui le dévorait, de l’en voir heureuse, avait d’abord suffi à son cœur ; mais la passion est ambitieuse ; il est dans la nature de l’homme de plus souffrir de ce qui lui manque qu’il n’est heureux de ce