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Page:Nichault - La Comtesse d Egmont.pdf/97

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qu’il possède. M. de Gisors devint sombre, sa santé s’altéra, et deux projets également sinistres s’emparèrent de son esprit.

La comtesse de Gisors, douée de toutes les vertus qui l’ont fait surnommer par ses amis la Sainte, aimait peu le monde ; on l’y voyait rarement ; et sans deviner le motif qui rendait à la fois son mari si soigneux et si froid pour elle, elle reportait sur la divinité l’amour qui n’avait point d’écho dans le cœur de celui qu’elle chérissait. Cette résignation abusant M. de Gisors sur la peine qu’il causait, il s’abandonna sans remords à toute sa passion pour Septimanie.

Cette passion éprouvée par tant d’années, par tant de regrets, de chagrins, il fallait mourir, ou la voir partager dans tout son délire…

Comment s’imaginer qu’un amour né vertueux, qui s’est maintenu pur au milieu de toutes les séductions, peut devenir subitement coupable ? Une telle crainte n’agitant point madame d’Egmont, elle s’était simplement affligée du changement que chacun remarquait dans M. de Gisors ; mais le duc de Richelieu en devina bientôt la cause. Son cœur, qui avait passé par tous les amours, même les plus honnêtes, s’aperçut sans peine du degré où était parvenu celui du comte Louis. Il crut devoir en avertir sa fille.

— Je suis fâché, dit-il, de troubler la douce sécurité qui vous rend si belle, et moi si heureux ; car vos pleurs continuels me désolaient ; mais comme vous en pourriez verser de plus amers encore, je dois vous prévenir du danger qui vous menace. Avec une autre femme, je rirais moi-même de la prétention de donner un avis semblable, ou plutôt j’en reconnaîtrais d’avance l’inutilité. Il faut avoir tant d’esprit pour comprendre la valeur d’un conseil donné par celui qui n’aurait peut-être pas eu le courage de le suivre ! Je ne ferai pas ici l’hypocrite, le sermonneur : je crois qu’il est des femmes dont le bonheur se passe fort bien de considération, d’estime ; et j’avoue que la reconnaissance qui m’attache à plusieurs d’elles me rend aussi indulgent qu’elles-mêmes sur leurs fai-