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Page:Nichault - La Duchesse de Chateauroux.djvu/28

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Noailles, qui lui adressait des compliments, la sortit enfin de son admiration rêveuse ; elle s’aperçut que les regards se portaient sur elle, et, baissant aussitôt les siens, elle ne vit plus lieu de ce qui se passait dans le salon.

Le jeu commença ; avant de s’asseoir à la table de Cavagnole pour l’aire la partie de la reine, madame de Mazarin vint dire à ses nièces de ne pas laisser entrevoir leur haine pour le roi, parce que la reine était si flattée, si heureuse de sa visite, que ce serait la mécontenter que de prendre son parti puisqu’elle ne le prenait elle-même. La recommandation fit d’abord sourire madame de la Tournelle, puis elle se sentit près d’en pleurer.

Ce n’était plus le temps où Louis XV, tout à son attachement conjugal, avait coutume de demander à ceux qui lui vantaient, avec une affectation dont il devinait le motif, quelque femme célèbre par sa beauté : « Est-elle plus belle que la Reine[1] ? » et cette princesse, qui passait alors dans la prière et dans les larmes les jours et les nuits qu’il consacrait à d’autres, regardait comme une faveur insigne le peu de moments qu’il lui accordait ; l’espoir de le ramener à ses premiers sentiments se glissait dans son cœur, chaque fois qu’un motif de convenance, d’étiquette ou d’intérêt le conduisait vers elle. Les gens gracieux et qui aiment à plaire sont perfides sans le savoir. On attache toujours à leurs mots coquets, à leurs manières caressantes, une importance qu’ils ne veulent pas y donner. Leur langage n’est pas faux ; ce sont leurs traducteurs qui se trompent.

La reine s’abusa d’autant mieux ce soir-là, que le roi n’adressa point la parole à madame de Mailly, qu’il fit beaucoup de frais pour la duchesse de Mazarin, et qu’il affecta de causer longtemps avec la marquise de Flavacourt, ennemie déclarée de sa sœur, la première favorite. Il est vrai que madame de la Tournelle, placée derrière elle, devait entendre leur conversation et prendre sa part des reproches que le roi adressait à madame de Flavacourt sur la rareté de ses apparitions à la cour. Celle-ci fit entendre que l’absence de son mari l’obligeait à vivre dans la retraite :

— Lorsqu’on peut être frappée d’un instant à l’autre, ajouta-

  1. Histoire de France, par Lacretelle, vol. II, p. 63