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Page:Nichault - Un mariage sous l empire.djvu/132

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n’aurais pas cru qu’on pût tant obtenir d’une personne de votre âge et entourée jusqu’alors, je vous demande pardon, ajouta-t-elle avec une bienveillance insolente, de modèles peu faits pour former dans l’art des bonnes manières…

Puis, s’appercevant que madame de Lorency s’apprêtait à répondre à cet éloge impertinent, madame de Cernan se reprit :

— Bonnes manières n’est pas positivement le mot, mais il est permis d’ignorer celles d’une certaine classe de la société, lorsqu’on n’y a pas encore vécu, et il faut, je vous l’assure, un esprit peu commun pour faire preuve d’un tact si fin.

Alors madame de Cernan passa en revue les femmes des dignitaires qui se trouvaient près d’elle, et répéta plusieurs des phrases qu’elle leur entendait dire chaque jour avec une aisance qui ajoutait encore au ridicule des expressions.

— Cette petite maréchale que vous voyez-là, disait-elle à Ermance, vous parle de ses femmes, de son hôtel, des dames qu’elle y réunit souvent, de sa sœur qui est enceinte, et de ses enfants qu’elle fait bienéduquer. Cette autre vous parle de son chasseur, n’appelle jamais son mari que monsieur le duc, et vous dit d’un air dégagé qu’il faut faire avancer son équipage pour qu’elle aille de suite en société. Je ne vous cite pas les gros bons mots de la maréchale Lefèvre, ceux-là ont du moins le mérite de l’originalité, souvent même de l’à-propos, et puis elle ne fait point la dame en laissant aller sa verve éloquente ; c’est la femme d’un brave soldat qui parle et qu’on écoute souvent avec plaisir ; elle est bien la preuve qu’une franche ignorance est préférable à une éducation commune.

Ces observations, où la médisance avait peut-être trop de part, n’en étaient pas moins utiles à Ermance, et lui montraient les ridicules à éviter ; ridicules dont elle eût été humiliée dans le monde où elle était appelée à vivre, mais qui sont sans inconvénient là où ils sont en force.

On a souvent blâmé cette aristocratie d’usages qui n’admet pas toujours les meilleurs, mais ceux qu’adoptent souvent à tort les gens distingués ; c’est encore un de ces préjugés dont l’absurdité apparente cache quelque chose de raisonnable. Dans une réunion où chacun est mis à peu près de même,