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AINSI PARLAIT ZARATHOUSTRA

peuple aux yeux faibles, — peuple qui ne sait point ce que c’est l’esprit !

L’esprit, c’est la vie qui incise elle-même la vie : c’est par sa propre souffrance que la vie augmente son propre savoir, — le saviez-vous déjà ?

Et ceci est le bonheur de l’esprit : être oint par les larmes, être sacré victime de l’holocauste, — le saviez-vous déjà ?

Et la cécité de l’aveugle, ses hésitations et ses tâtonnements rendront témoignage de la puissance du soleil qu’il a regardé, — le saviez-vous déjà ?

Il faut que ceux qui cherchent la connaissance apprennent à construire avec des montagnes ! c’est peu de chose quand l’esprit déplace des montagnes, — le saviez-vous déjà ?

Vous ne voyez que les étincelles de l’esprit : mais vous ignorez quelle enclume est l’esprit et vous ne connaissez pas la cruauté de son marteau !

En vérité, vous ne connaissez pas la fierté de l’esprit ! mais vous supporteriez encore moins la modestie de l’esprit, si la modestie de l’esprit voulait parler !

Et jamais encore vous n’avez pu jeter votre esprit dans des gouffres de neige : vous n’êtes pas assez chauds pour cela ! Vous ignorez donc aussi les ravissements de sa fraîcheur.

Mais en toutes choses vous m’avez l’air de prendre trop de familiarité avec l’esprit ; et souvent vous avez fait de la sagesse un hospice et un refuge pour de mauvais poètes.