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HUMAIN, TROP HUMAIN, DEUXIÈME PARTIE

donc toujours à trouver celle-ci, tout comme nos économistes ne se sont pas encore fatigués de flairer dans le mot « valeur » une pareille unité et de rechercher la racine fondamentale de l’idée de valeur. Comme si tous les mots n’étaient pas des poches où l’on a fourré tantôt ceci, tantôt cela, tantôt plusieurs choses à la fois. La « vengeance » est donc aussi tantôt ceci, tantôt cela, tantôt quelque chose de plus compliqué. Qu’on tâche donc de distinguer ce recul défensif que l’on effectue presque involontairement, comme si l’on était en face d’une machine en mouvement, même en face d’objets inanimés qui nous ont blessés : le sens qu’il faut prêter à ce mouvement contraire, c’est de faire cesser le danger en arrêtant la machine. Pour arriver à ce but, il faut parfois que la riposte soit si violente qu’elle détruit la machine ; mais quand celle-ci est trop solide pour pouvoir être détruite d’un seul coup, par un individu, celui-ci emploiera toute la force dont il est capable, pour asséner un coup vigoureux, — comme si c’était là une tentative suprême. On se comporte de même vis-à-vis des personnes qui vous blessent, sous l’empire immédiat du dommage causé. Que l’on veuille appeler cela un acte de vengeance, fort bien ; mais il ne faut pas oublier que c’est seulement l’instinct de conservation qui a mis en mouvement le rouage de sa raison, et qu’au fond l’on ne songe pas à celui qui cause le dommage, mais seulement à soi-même : nous agissons ainsi, non pas pour nuire de notre côté, mais seulement pour nous en tirer la vie sauve. — On use du temps pour passer, en imagination,