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HUMAIN, TROP HUMAIN, DEUXIÈME PARTIE

la civilisation, mais seulement ces peuples et ces fractions de peuples qui ont un passé commun dans la Grèce et la Rome anciennes, dans le judaïsme et le christianisme.

216.

La « vertu allemande ». — Il est indéniable que depuis la fin du siècle dernier un courant de réveil moral a traversé l’Europe. C’est alors seulement que la vertu recommença d’être éloquente ; elle apprit à trouver les gestes sans contrainte de l’exaltation, de l’émotion, elle n’eut plus honte d’elle-même et elle imagina des philosophies et des poèmes pour se glorifier elle-même. Si l’on recherche les sources de ce courant, on trouve d’une part Rousseau, mais le Rousseau mystique, que l’on avait créé d’après l’impression laissée par ses œuvres — on pourrait presque dire : ses œuvres interprétées d’une façon mystique — et d’après les indications données par lui-même (lui et son public travaillèrent sans cesse à créer cette figure idéale). L’autre origine se trouve dans la résurrection du grand latinisme stoïque par quoi les Français ont continué de la façon la plus digne l’œuvre de la Renaissance. Ils passèrent, avec un succès merveilleux, de l’imitation des formes antiques à l’imitation des caractères antiques : ce qui leur confère à tout jamais un droit aux distinctions les plus hautes, car ils sont le peuple qui a donné jusqu’à présent à l’humanité nouvelle les meilleurs livres et les meilleurs hommes. Comment ce double exemple, celui du Rousseau mystique et celui de l’esprit romain res-