Page:Nietzsche - La Volonté de puissance, t. 1, 1903.djvu/237

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égère ironie toute prétention à vouloir fixer la condition de l’homme, nous tenons à l’idée que malgré tout on ne devient que ce que l’on est (malgré tout : je veux dire l’éducation, l’instruction, le milieu, le hasard et les accidents). C’est pourquoi nous avons appris, dans les choses de la morale, à retourner d’une curieuse façon le rapport entre la cause et l’effet, — il n’y a peut-être rien qui nous distingue plus foncièrement des anciens croyants en la morale. Nous ne disons plus par exemple : " Si un homme dégénère au point de vue physiologique, c’est le vice qui en est la cause. " Nous ne disons pas davantage : " La vertu fait prospérer l’homme, elle apporte longue vie et bonheur. " Notre opinion est au contraire que le vice et la vertu ne sont point des causes, mais seulement des conséquences. On devient un honnête homme parce que l’on est un honnête homme : c’est-à-dire parce que l’on est né capitaliste de bons instincts et de conditions prospères… Vient-on au monde pauvre, né de parents qui, en toutes choses, n’ont fait que gaspiller et n’ont rien récolté, on est " incorrigible ", je veux dire mûr pour le bagne et la maison d’aliénés… Nous ne pouvons plus imaginer aujourd’hui la dégénérescence morale séparée de la dégénérescence physiologique : la première n’est qu’un ensemble de symptômes de la seconde ; on est nécessairement mauvais comme on est nécessairement malade… Mauvais : le mot exprime ici certaines incapacités