ci. Le bon Dieu, aussi bien que le diable : tous deux
sont des produits de la décadence. Comment est-il
possible de se soumettre encore, de nos jours, à la
simplesse des théologiens chrétiens, pour décréter, avec
eux, que le développement de la conception de Dieu
depuis le « Dieu d’Israël », le Dieu d’un peuple,
jusqu’au Dieu chrétien, l’ensemble de toutes les bontés,
puisse être un progrès ? Mais Renan même le fait.
Comme si Renan avait un droit à la simplesse ! Le
contraire saute aux yeux. Si l’on élimine de la conception
de Dieu, les conditions de la vie ascendante, tout ce
qui est fort, brave, superbe, fier, si cette conception
déchoit pas à pas pour devenir le symbole d’un
bâton de lassitude, d’une planche de salut pour tous
ceux qui se noient, si l’on en fait le Dieu des pauvres
gens, des pécheurs, des malades par excellence et si
l’attribut de « Sauveur », de « Rédempteur » reste
en quelque sorte et d’une manière générale le seul
attribut divin : à quoi mènera une pareille
transformation ? une telle réduction du divin ? — Sans
doute : le « règne de Dieu » en est grandi. Autrefois
Dieu n’avait que son peuple, son peuple « élu ».
Depuis lors il s’en est allé à l’étranger, tout comme
son peuple, il s’est mis à voyager sans plus jamais
tenir en place : jusqu’à ce que partout il fût chez
lui, le grand cosmopolite, — jusqu’à ce qu’il eût de
son côté « le grand nombre » et la moitié du monde.
Mais le Dieu du « grand nombre », le démocrate
parmi les dieux, ne devint quand même pas un fier
Dieu païen : il resta juif, il resta le Dieu des
carrefours clandestins, le Dieu des recoins et des
lieux obscurs, de tous les quartiers malsains du
Page:Nietzsche - Le Crépuscule des Idoles - Le Cas Wagner - Nietzsche contre Wagner - L'Antéchrist (1908, Mercure de France).djvu/262
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
262
L’ANTÉCHRIST