Page:Nietzsche - Le Crépuscule des Idoles - Le Cas Wagner - Nietzsche contre Wagner - L'Antéchrist (1908, Mercure de France).djvu/263

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
263
L’ANTÉCHRIST


monde entier. Son royaume universel est, avant comme après, un royaume souterrain, un hôpital, un royaume de ghetto… Et lui-même si pâle, si faible, si décadent… Les plus blêmes parmi les êtres pâles se rendirent maîtres de lui, messieurs les métaphysiciens, ces albinos de la pensée. Tant ils filèrent leur toile autour de lui, qu’hypnotisé par leurs mouvements, il devint araignée lui-même, lui-même métaphysicien. Maintenant, il s’est remis à dévider le monde hors de lui-même — sub specie Spinozae[1] —, il se transfigura en une chose toujours plus mince, toujours plus pâle, il devint « idéal », « esprit pur », « absolutum », « chose en soi »… La ruine d’un Dieu : Dieu devint « chose en soi »…

18.

La conception chrétienne de Dieu — Dieu, le Dieu des malades, Dieu, l’araignée, Dieu, l’esprit — est une des conceptions divines les plus corrompues que l’on ait jamais réalisées sur terre ; peut-être est-elle même au plus bas niveau de l’évolution descendante du type divin : Dieu dégénéré jusqu’à être en contradiction avec la vie, au lieu d’en être la glorification et l’éternel affirmation ! Déclarer la guerre, au nom de Dieu, à la vie, à la nature, à la volonté de vivre ! Dieu, la formule pour toutes les calomnies de l’« en-deçà », pour tous les mensonges de l’« au-

  1. En dehors du rapprochement qui saute aux yeux, Nietzsche essaye un vague jeu de mots sur Spinne (araignée) et Spinoza. — N. d. T.