Page:Nietzsche - Le Crépuscule des Idoles - Le Cas Wagner - Nietzsche contre Wagner - L'Antéchrist (1908, Mercure de France).djvu/94

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
94
NIETZSCHE CONTRE WAGNER

son métier ont imposé à sa conscience. La peur de sa mémoire lui est particulière. Le jugement d’autrui le pousse souvent à se taire, il écoute, le visage immobile, comment les autres vénèrent, admirent, aiment, glorifient, là où il s’est contenté de voir —, ou bien encore il cache son étonnement en s’accommodant exprès d’une opinion de premier plan. Peut-être le côté paradoxal de sa situation touche-t-il de si près l’épouvantable qu’il est pris d’une grande pitié et d’un grand mépris aux endroits où les gens « instruits » ont appris à mettre leur grande vénération… Et qui sait si dans tous les cas importants il n’arriva pas — que l’on voulut adorer un dieu et que ce dieu ne se trouva être qu’une pauvre bote à sacrifice… Le succès fut toujours le plus grand menteur — et l’œuvre, l’action, sont, elles aussi, des succès… Le grand homme d’État, le conquérant, l’explorateur sont travestis, enveloppés par leurs créations jusqu’à être méconnaissables ; l’œuvre, celle de l’artiste, du philosophe, invente seulement celui qui l’a créée, celui qu’on suppose l’avoir créée… Les « grands hommes », tels qu’on les vénère, se trouvent n’être après coup que de mauvaises petites fables ; — dans le monde des valeurs historiques règne le faux monnayage…

2.

Ces grands poètes, par exemple, ces Byron, ces Musset, ces Poe, ces Leopardi, ces Kleist, ces Gogol — je n’ose pas prononcer de noms beaucoup plus grands, mais c’est à eux que je pense —, tels qu’ils