Page:Nietzsche - Le Crépuscule des Idoles - Le Cas Wagner - Nietzsche contre Wagner - L'Antéchrist (1908, Mercure de France).djvu/95

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
95
NIETZSCHE CONTRE WAGNER

sont, tels qu’ils doivent être : hommes du moment, sensuels, absurdes, multiples, légers et soudains dans la méfiance et dans la confiance ; avec des âmes dont souvent ils veulent cacher quelque fêlure : se vengeant souvent par leurs œuvres d’une souillure intérieure, cherchant souvent par leurs essors l’oubli d’une mémoire trop fidèle ; des idéalistes parce qu’ils se trouvent tout près du marécage ! — Quelles souffrances ne causent-ils pas à celui qui les a devinés, ces grands artistes et en général tous ceux que l’on appelle hommes supérieurs !… Nous sommes tous des avocats de la médiocrité… Il est facile de comprendre que la femme qui est clairvoyante dans le monde de la souffrance et avide d’aider et de secourir, hélas ! bien au delà de ses forces, éprouve justement pour eux ces élans de pitié sans borne, que la foule, avant tout la vénération de la foule, comble d’interprétations indiscrètes et présomptueuses… Cette pitié se trompe régulièrement sur sa force : la femme voudrait croire que l’amour peut tout, — c’est là sa superstition à elle. Hélas ! celui qui connaît le cœur humain devine combien, même le meilleur et le plus profond amour, est pauvre, maladroit, présomptueux, susceptible d’erreur — combien il est plutôt fait pour détruire que pour sauver…

3.

— Le dégoût et l’orgueil spirituels de tout homme qui a profondément souffert, — c’est la faculté de souffrir qui détermine le rang, — la certitude fré-