Page:Nietzsche - Le Gai Savoir, 1901.djvu/91

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d’étonnement lorsqu’on se faisait raconter des fables et des histoires de fées. Le merveilleux faisait tant de bien à ces hommes qui devaient se fatiguer parfois de la règle et de l’éternité. Perdre une fois pied ! Planer ! Errer ! Être fou ! — cela faisait partie du paradis et des ivresses d’autrefois : tandis que notre béatitude ressemble à celle du naufragé qui est descendu à terre et qui se place avec les deux pieds sur la vieille terre ferme — étonné de ne pas la sentir vaciller.

47.

De la répression des passions. — Si l’on s’interdit continuement l’expression des passions comme quelque chose qu’il faut laisser au « vulgaire », aux natures plus grossières, bourgeoises et paysannes, — si l’on veut donc, non réfréner les passions elles-mêmes, mais seulement leur langage et leurs gestes : on atteint néanmoins, en même temps, ce que l’on ne veut pas atteindre, la répression des passions elles-mêmes, du moins leur affaiblissement et leur transformation : — comme il en est advenu, exemple instructif ! de la cour de Louis XIV et de tout ce qui en dépendait. L’époque suivante, élevée à mettre un frein aux formes extérieures, avait perdu les passions elles-mêmes et pris par contre une allure élégante, superficielle, badine, — époque tellement atteinte de l’incapacité d’être malhonnête, que même une offense n’était acceptée et rendue qu’avec des paroles courtoises. Peut-être notre époque offre-t-elle une singulière contre-partie