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NOUS AUTRES SAVANTS

qui abondent aujourd’hui, il passe dès lors pour un être dangereux. Il leur semble que cette répudiation du scepticisme provoque au loin une rumeur menaçante et de mauvais augure, comme si quelque part on expérimentait une nouvelle matière explosive, une dynamite de l’esprit, une nihiline russe inconnue jusqu’ici, un pessimisme bonœ voluntatis qui non seulement nie, exige un « non », mais qui — chose horrible à penser — met la négation en pratique. Contre cette espèce de « bonne volonté » — volonté de la négation réelle et effective de la vie — il n’y a pas aujourd’hui, on le sait, de meilleur calmant, de meilleur soporifique que le scepticisme ; ce doux pavot qui provoque des torpeurs bienfaisantes, et les médecins de notre temps prescrivent même la lecture d’Hamlet contre l’esprit et ses agitations souterraines. « N’a-t-on pas déjà les oreilles pleines de mauvais bruits ? dit le sceptique, ami du repos, sorte d’agent de la sûreté : cette négation souterraine est terrible ! Taisez-vous donc enfin, taupes pessimistes ! » En effet, le sceptique, cet être délicat, est très prompt à s’effrayer ; sa conscience est prête à tressaillir à un non, et même à un oui résolu et dur, prête à sentir quelque chose comme une morsure. Oui et non ! — cela lui paraît immoral ; il aime, au contraire, à faire fête à sa vertu par une noble continence, en disant avec Montaigne : « que sais-je ? » ou avec Socrate : « je sais que je ne sais rien » ; ou : « je