Page:Nietzsche - Par delà le bien et le mal.djvu/203

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
203
NOUS AUTRES SAVANTS

demain et d’après-demain, s’est toujours trouvé et a se trouver toujours en contradiction avec son époque : son ennemi fut constamment l’idéal d’aujourd’hui. Jusqu’à présent, tous ces promoteurs extraordinaires de l’homme, qu’on nomme philosophes et qui se sont eux-mêmes rarement regardés comme des amis de la sagesse, mais plutôt comme des fous insupportables et des énigmes dangereuses — ont eu pour tâche (tâche difficile, involontaire, inévitable), et reconnu la grandeur de leur tâche en ceci qu’ils devaient être la mauvaise conscience de leur époque. En portant précisément le couteau vivisecteur à la gorge des vertus de l’époque, ils ont révélé ce qui était leur propre secret : connaître pour l’homme une nouvelle grandeur, une voie nouvelle et inexplorée qui le conduirait à son agrandissement. Ils ont trahi chaque fois combien d’hypocrisie, de commodité, de laisser-aller et de laisser-choir, combien de mensonges se cachaient sous le type le plus honoré de la moralité contemporaine, combien de vertus étaient arrivées à se survivre. Chaque fois ils disaient : « Il faut que nous sortions, que nous nous en allions vers des contrées, auxquelles vous vous êtes le moins accoutumés. » En présence d’un monde d’« idées modernes » qui voudrait confiner chacun dans son coin, dans sa spécialité, un philosophe, si des philosophes pouvaient exister aujourd’hui, serait obligé de placer la grandeur de l’homme, le concept « grandeur » dans toute