Page:Nodier - Contes de la veillée, 1868.djvu/126

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— Vous a-t-on dit qu’Eulalie reviendroit ?

— J’espère qu’elle reviendra ; mais tu aimes Puck parce qu’il t’aime. Tu aimeras une femme qui te dira qu’elle t’aime.

— C’est bien autre chose. Puck ne m’a pas trahi. Puck ne m’auroit pas quitté. Puck est mort.

— Écoute, Gervais, il faut que je m’en aille. J’irai à Milan — je la verrai — je lui parlerai, je le jure — et puis, je reviendrai — mais j’ai aussi des douleurs à distraire, des blessures à cicatriser — tu ne le croirois pas, et cependant, cela est vrai ! pour échanger contre ton cœur qui souffre, mon cœur avec toutes ses angoisses, je voudrois pouvoir te donner mes yeux !…

Gervais chercha ma main et la pressa fortement. Les sympathies du malheur sont si rapides !

— Au moins, continuai-je, il ne te manque rien de ce qui contribue à l’aisance. Les soins de ton protecteur ont fait fructifier ton petit bien. Les bons Chamouniers regardent ta prospérité comme leur plus douce richesse. Ta beauté te fera une maîtresse ; ton cœur te fera un ami !

— Et un chien !… dit Gervais.

— Ah ! je ne donnerois pas le mien pour ta vallée et pour tes montagnes, s’il ne t’avoit pas aimé ! — Je te donne mon chien…

— Votre chien ! s’écria-t-il, votre chien !… Non ! non !… monsieur, cela ne se donne pas !

Voyez comme Puck m’avoit entendu ! il vint me combler de douces caresses mêlées d’amour, et de regret et de joie. C’étoit la tendresse la plus vive, mais une tendresse d’adieu ; et quand d’un signe qu’il attendoit je lui montrai l’aveugle, il s’élança fièrement sur ses genoux, et, une patte appuyée sur le bras de Gervais, me regarda de l’air assuré d’un affranchi.

— Adieu, Gervais ! — Je ne nommai pas Puck, il m’auroit suivi. Quand je fus au détour de l’esplanade je