Page:Nodier - Contes de la veillée, 1868.djvu/127

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l’aperçus, honteux, sur la lisière de la forêt. Je m’approchai doucement, il recula d’un seul pas, et puis étendit sur ses deux pattes une tête humiliée. Je passai ma main sur les ondes flottantes de sa longue soie, et, avec un serrement du cœur, mais d’une voix sans colère, je lui dis : Va…

Il partit comme un trait, se retourna encore une fois pour me regarder et rejoignit Gervais.

Du moins il ne sera plus seul.


Quelques jours après, j’étois à Milan.

J’étois à Milan sans dessein. Il arrive une époque de la vie où l’on cesse d’user de ses jours. On les use.

Le récit même de Gervais ne m’avoit laissé qu’une impression touchante et triste, mais vague et légère comme celle d’un songe dont je ne sais quelle inexplicable liaison d’idées réveille de temps en temps le souvenir.

J’étois bien loin de rechercher la fréquentation du grand monde. Qu’y aurois-je fait ? mais je ne l’évitois pas. C’est aussi une solitude, — à moins toutefois, et alors malheur à vous, que vous n’y fassiez la rencontre d’un de ces brillants et hardis touristes que vous avez aperçus du boulevard sur le perron de Tortoni, ou près desquels vous avez bâillé une heure à Favart, — poupées apprêtées par un goût frivole pour l’étalage du tailleur, — à la cravate fashionable, aux cheveux en coup de vent, au claque rond doublé de satin cerise, au gilet mandarin de Valencia, aux bas gris de perle brodés de coins à jour, au lorgnon scrutateur, à l’imperturbable assurance, à la voix haute.

— C’est toi ! s’écria Roberville.