Page:Nodier - Contes de la veillée, 1868.djvu/193

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d’autres services, j’aurai soin de vous appeler et de vous faire connoître mes volontés.

Il n’avoit, pas fini de parler que ses ordres s’exécutèrent. Une table jonchée de fleurs se couvrit de sorbets, de confitures, de mets délicats, de vins exquis ; car les médecins d’Égypte poussent, à un degré incroyable de raffinement, le goût de la bonne chère, et ne se font pas grand scrupule d’enfeindre les préceptes de la loi ; je ne sais s’il en est de même ici. J’étois loin cependant d’être rassuré, ou plutôt je commençois à m’imaginer que le docteur se proposoit de m’étourdir par des breuvages narcotiques dont je n’avois pas l’habitude, pour procéder ensuite à son opération avec moins de difficulté. Les scalpels et les bistouris n’avoient d’ailleurs pas disparu, et la vue de ces ustensiles menaçants réprimoit fort mon appétit. Le médecin parut remarquer enfin ma consternation, dont il n’ignoroit pas la cause.

— Eh quoi ! me dit-il, mon illustre confrère, vous croyez-vous par hasard au saint temps du Ramazan, pour dédaigner des mets qui éveilleraient la sensualité d’un santon ? Daignez du moins me faire raison de ce verre de vieux Schiraz que je vais boire à l’honneur de vos glorieux succès.

La révolution que produisit en moi cette singulière apostrophe me rendit subitement la parole : C’en est trop, lui répondis-je en pleurant de colère ; je ne m’attendois pas à voir un homme qui exerce une profession libérale et humaine joindre une ironie si amère à une si noire cruauté !

— Allons donc, reprit-il, vous ne sauriez attribuer sérieusement au plus zélé de vos admirateurs et de vos disciples l’intention de cette exécrable plaisanterie. J’avoue que la gloire d’ouvrir un grand homme tel que vous est faite pour éblouir mon orgueil ; mais ce n’est pas au point de fermer mes yeux à l’éclat de votre savoir et de