Page:Nodier - Contes de la veillée, 1868.djvu/194

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vos talents. Je vous suivois d’assez près, ce matin, quand vous marchiez de votre prison au palais du roi d’Égypte, et vous m’avez rendu témoin de miracles si surprenants, qu’ils semblent plutôt l’ouvrage d’un génie que celui d’un homme. Ô seigneur, que vous êtes un habile médecin, et que les moindres de vos formules seraient payées cher par notre académie !

Quoique ma situation fût peu changée en apparence, j’avouerai que ces paroles me pénétrèrent d’une émotion assez douce, et que mon amour-propre triompha un moment de ma peur. Je bus un verre de Schiraz, et je repris quelque courage.

— Il est vrai, dis-je avec l’expression d’un contentement modeste, que ma pratique n’a jamais été malheureuse, à une triste occasion près, et je mets le monde entier au défi de citer un seul malade que je n’aie pas guéri du premier abord, si ce n’est le roi d’Égypte, à qui Dieu pardonne le mal qu’il me fait ou qu’il veut me faire.

— Pour celui-là, répliqua le docteur en riant, vous m’auriez étonné d’une tout autre manière, si vous aviez deviné sa maladie, car je vous suis caution qu’il n’est point malade. C’est une organisation de fer, usée avant l’âge par tous les excès qui précipitent le cours de la vie, la satiété des voluptés, la satiété du pouvoir, la satiété du crime. Il n’y a plus rien de nouveau pour ses organes blasés, sur cette terre dont il est l’effroi, et voilà pourquoi il se meurt. C’est de tous mes clients celui qui m’inquiète le moins, car je lui tiens en réserve, pour le premier moment d’humeur dont il aura le malheur de m’inquiéter, une potion souveraine qui lui procurera la guérison radicale de tous ses maux, et qui guérira l’Égypte plus infailliblement encore de l’opprobre et des calamités de son règne. Ne soyez donc pas surpris de n’avoir pas trouvé de remède aux douleurs qui le dévorent. La Providence est trop sage pour avoir réservé de telles ressources au plus méchant de tous les hommes.