Page:O'Followell - Le corset, 1908.djvu/282

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Mme de Girardin avait donc raison de dire qu’on n’avait pas la même âme en robe du matin qu’en toilette du soir. C’est qu’elle était peut-être dyspeptique. La maladie du corset vivait.

Dans le principe, toutes ces manifestations morbides s’effacent et disparaissent à mesure que la journée s’avance. Vous en êtes quitte pour quelques éblouissements, quelques vertiges, quelques bouffées de chaleur, quelques vapeurs.

Vous en êtes quitte, et, vous savez pourquoi, pour à table garnir avec vos gants les verres à vins fins, repousser les mets les plus appétissants, et observer sévèrement un strict carême volontaire. Vous le faites d’ailleurs depuis si longtemps, et avec une telle ostentation, qu’on a pu dire tantôt que « l’austérité douteuse des cloîtres du vieux temps se prélasse aujourd’hui à la table des riches et l’affectation d’un jeûne perpétuel est devenue une manie de bon ton ».

Mais, avouez-le ce n’est de votre part qu’une abstinence forcée, Mesdames, édictée, puis imposée par votre affolement de sveltesse et de diaphanéité.

Vous en êtes quitte encore pour étouffer ou voiler, par une toux savamment provoquée, tous ces incommodants glouglous qui, en dépit de toute convenance, se font entendre dans votre gorge, juste à l’instant inopportun, parcourant toute une gamme musicale depuis le plus petit « ronron », qui chatouille désagréablement, jusqu’au sinistre clapotement qui vient du bout de vos entrailles et vous fait pâlir et frémir de honte et d’horreur.

Mais peu à peu, avec le temps, tous ces symptômes s’accentuent, s’aggravent, se prolongent et durent ; ils ne vous quittent plus. À ce moment le corset ne soulage pas. Ce faux ami vous abandonne.

Vous êtes une malade. Éternelle blessée, amaigrie, anémiée, vous devenez bilieuse, grincheuse, acariâtre, de mauvaise compagnie.

N’allez donc pas me soutenir, pour votre défense, qu’« on serait merveilleusement mal à son aise dans une société où tout le monde se mettrait à son aise ». Non, car la réforme de la toilette n’exclut pas la bonne éducation, ni la galanterie, ni la politesse, ni l’étiquette. Étant plus à l’aise, mais convenablement plus à l’aise, on serait certainement plus gaie, plus sincère, moins médisante ; finalement d’une fréquentation plus agréable, parce que l’on serait plus fraîche, plus robuste, moins torturée, plus libre maîtresse de soi, plus heureuse, en un mot morale-