Page:O’Neddy - Œuvres en prose, 1878.djvu/19

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— M’en croirez-vous ?… la bête que vous montez aujourd’hui ne manque pas de vigueur et de beauté, j’en conviens, elle est de bonne race, c’est vrai ; cependant je vous conseille fort de la comprendre dans la plus prochaine de ces réformes.

— Ah ! parbleu, mon cher monsieur, je vous croyais un connaisseur aussi ; mais ce que vous me dites là prouve que je vous jugeais beaucoup trop favorablement.

— Peut-être… mais, à propos, vous n’avez pas encore fait la moindre attention à mon cheval.

— Votre cheval ?… ma foi, mon cher gentilhomme, si je n’avais pas peur de me brouiller avec vous, je vous dirais que votre cheval est un criquet.

— Je vous arrête là, colonel ! mon cheval à plus de nerveux et d’agilité qu’un daim. À la course, il damerait le pion à dix anglais comme le vôtre.

— Allons donc ! quelle mauvaise plaisanterie !

— Écoutez. La route est presque droite et passablement unie. Voulez-vous qu’à la première milliaire nous parlions ensemble au galop ? Je parie cinq louis que j’arrive au but cinq minutes avant vous.

— J’en parie vingt que votre haridelle crève en route !

— Pariez comme moi, s’il vous plaît. Je n’aime que les parties égales.

— Eh bien ! soit. Touchez là. Le comte de Brazhella est votre homme.

Ils continuèrent ainsi leur chemin, toujours devisant de l’art centaurestique, et chacun exaltant le mérite de sa monture, jusqu’à la première milliaire d’où ils étaient convenus de partir.

Là ils font halte un moment, se préparent, se recueillent, puis, la houssine au poing, s’élancent…

Quel élégant plaisir, quel contentement superbe de se sentir emporté au galop cadencé d’un bon cheval, par un beau ciel, par un beau soleil, à travers un beau paysage ! Quel bonheur d’aller ainsi, poitrine effacée, narine ouverte, fendant un air généreux et pur qui vous enchante les esprits ! Comme alors on ressent avec plénitude les biens de la vie et de la santé ! Comme on est libre ! Comme on respire !… Comme on règne !… Quelle joie et quelle énergie !

Cette opulence de sensations, le comte de Brazhella la savoure largement, puissamment, de tout son être ! et il en