Page:Octave Mirbeau - La 628-E8 - Fasquelle 1907.djvu/169

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

pièces mécaniques, et ces quatre-vingt-dix mille pièces sont mises en mouvement par un simple petit poids de cuivre, qui pèse cinquante grammes… Ici, c’est un tout petit homme, un tout petit et très vieux homme, presque aussi petit, presque aussi vieux et guère plus lourd que le poids de l’horloge de Beauvais, M. Ballin, dont le génie est l’âme motrice de ce gigantesque instrument de diffusion commerciale. À lui tout seul, M. Ballin a plus fait pour la grandeur, pour la richesse allemandes, que les canons de de Moltke, les mensonges de Bismarck, l’universelle agitation de Guillaume II.

Après Hambourg, Anvers a de quoi aussi nous satisfaire et nous divertir.

On y débarque à quai des denrées du monde entier. Le double réseau du chemin de fer et du fleuve canalisé y fait rythmiquement, comme aux battements d’un organe d’échanges, l’échange des ballots de laine, des métaux, de l’ivoire, contre les vêtements, les jouets et les machines ; des fruits, des plantes exotiques, des épices, des pétroles, des tonnes de caoutchouc, des bois précieux, contre les calicots coloriés, les parfumeries et les verroteries chères aux nègres… Des vaisseaux frais, pimpants, partent gaiement, comme en sifflant d’aise, et des coques boursouflées, exténuées, rongées par les fucus et les pousse-pied, rentrent en geignant, qui vont aller s’étendre, dans les bassins, pour se refaire… De même les marins… Ils sont partis, eux aussi, la tête pleine de l’espoir de l’inconnu et des aventures… Ils sont allés vers le prodige… Beaucoup sont restés… On en voit qui reviennent qu’on ne reconnaît plus, qui ne reconnaissent plus rien et personne… qui ne se reconnaissent pas eux-mêmes… Ils sont étrangers.