Page:Octave Mirbeau - La 628-E8 - Fasquelle 1907.djvu/170

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Les ports sont l’image la plus parfaite, la plus exacte du rêve de l’homme. Ils le contiennent, et ils l’emportent, tout entier, vers toutes les chimères… Rêve de bonheur, espoir de fortune, oubli des déchéances, illusion de l’aventure, rajeunissement des énergies malchanceuses… Le départ fait joyeuses les pires détresses… car, pour les malades, le remède n’est jamais là où ils souffrent… il est là-bas… C’est qu’on a l’espace devant soi et pour soi… et, qu’ayant l’espace, on a le temps aussi, et qu’au bout de l’espace et du temps cela ne peut être que le bonheur… Le voyage est un engourdissement, un sommeil que peuplent les songes heureux… Mais un rien vous réveille et fait s’envoler les songes… Il suffit de la première forme rencontrée en ce vague énorme qui vous berce ; il suffit de la première ville où l’on atterrit, du premier visage humain où se confrontent à nouveau nos égoïsmes implacables… Et quand on arrive, c’est la réalité qui vous reprend, partout… partout… partout !…



Les membres que, de tous côtés, en grinçant, les grues agitent, multiplient l’effort des bras humains. Les manœuvres, les dockers aux poitrines velues, aux dos écrasés, aux yeux hagards, à la face de bêtes fourbues, qui paraissent condamnés à quelque vain supplice de l’antiquité, déchargent les cales, qu’ils vont remplir, pour les décharger et les remplir, sans relâche. C’est à croire que les bateaux ne font le tour du monde que pour occuper interminablement leur effort de farouches Danaïdes.