Page:Octave Mirbeau - La 628-E8 - Fasquelle 1907.djvu/218

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les routes, à chaque instant, cessent brusquement, à pic, devant le fleuve, ou devant le canal qu’il vous faut traverser sur des bacs à vapeur, puissants et rapides…

Cette façon de voyager en auto, lente, interrompue par toute sorte d’arrêts, est d’abord irritante. Brossette maugrée à toutes les minutes, il s’écrie : « Sale pays ! »… Et puis il s’y fait, et puis l’on s’y fait. Cela devient vite un repos, même un plaisir. On se mêle ainsi beaucoup mieux à la vie des choses et à celle des gens. Ce qui est charmant et nouveau, en ce pays, c’est que, partout, même sur la route, on est en contact perpétuel avec ses habitants. On les voit vivre et on vit avec eux… On est chez eux…

Sous sa face tranquille, avec ses gestes mesurés, le Hollandais est rude et violent. Il aime aussi la moquerie, l’ironie. Mais quand on n’est pas un Anglais, et qu’on s’habille comme tout le monde, on s’en accommode assez bien. Au besoin, il saura être complaisant sans servilité, et gaiement accueillant, s’il ne lui en coûte rien. Par exemple, évitez de vous promener, vêtus de peaux de bêtes. Les peaux de bêtes excitent d’abord sa curiosité, et sa curiosité peut devenir agressive et méchante. Il m’est arrivé à Rotterdam, où pourtant débarquent des gens de tous pays et de tous costumes, à Leuwarden aussi, d’être suivi, dans la rue, par une foule de quinze cents personnes, hommes, femmes et enfants. Ils commençaient par rire et se moquer, et bientôt, s’énervant l’un l’autre, finissaient par me lancer des boules de papier et des pelures d’orange. Or, de l’orange à la pierre, il n’y a pas très loin. Ce furent des moments extrêmement désagréables, et qui me rappelèrent la sortie des réunions publiques, au temps de l’affaire