Page:Octave Mirbeau - La 628-E8 - Fasquelle 1907.djvu/315

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dont la tête n’est qu’un bec, dont les yeux ronds sont plus cruels que ceux de l’oiseau de proie, et qui portent, mais sans les avoir faites, les plus jolies robes qu’on puisse imaginer. Elles se laissent écraser pour la joie de picorer, un instant de plus, sur le sol nu de la route, on ne sait quoi, le crottin laissé, de place en place, par les chevaux, la bouse des vaches, le plus souvent les seuls cailloux.

On dirait qu’elles ne traversent, car rien ne les sollicite de l’autre côté, que pour le plaisir de se confronter au radiateur. Si, par hasard, elles l’ont évité, ce n’est que pour mieux se fracasser contre un poteau télégraphique, un tronc d’arbre, un pan de mur, s’empêtrer dans les broussailles de la haie, où j’en ai vu laisser toutes leurs plumes et se briser les pattes. Pour fuir, elles s’étirent tellement en avant, bec ouvert, plumes hérissées, se courbent tellement sur leurs bouts d’ailes, qu’on dirait qu’elles vont continuer à quatre pattes, quand le péril réveille, au moment suprême, l’instinct de la race, et refait, pour une seconde, d’une volaille, un oiseau… Mais, à peine ont-elles tiré de l’aile jusqu’à l’abri, qu’un seul grain d’avoine, ou un moucheron aperçu sur un brin d’herbe, leur fait oublier tout le drame. Elles ne s’en souviendront même pas demain, ni dans quelques minutes. Elles picorent… Elles sont semblables à la femme de l’Écriture qui, au sortir d’un repas, essuyait ses lèvres, et disait ensuite : « Je n’ai pas mangé ».

Il y a de grosses poules qui ont nourri, élevé des générations, qui devraient connaître la vie, en ayant connu tous les dangers, et qui n’ont rien appris, et qui sont plus obtuses que leur dernière couvée, et, à mesure qu’elles vieillissent, plus voraces et plus obscènes. Grasses, pesantes, elles marchent avec effort, en se dandinant,