Page:Octave Mirbeau Un gentilhomme 1920.djvu/33

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je suis à vous, monsieur Joë… je suis à vous…

— All right ! répondit l’un de ces hommes qui était, sans doute, M. Joë…

Comme ils ne s’écartaient pas pour me livrer passage je les heurtai du coude un peu brutalement, et me fis place. Ils avaient des visages complètement glabres, très rouges, grimaçants et flétris… un air d’insolence ridicule, de cynisme édenté, devant quoi je retrouvai, en une seconde, mon humeur agressive.

« Des palefreniers du château… pensai-je… des confrères à moi… Ah ! Ah !… c’est du propre ! »

D’une voix grêle et précipitée, avec des grimaces burlesques et furieuses, ils baragouinèrent quelques mots en anglais… des mots insultants sans doute… Je n’y pris pas garde… Je plastronnai, ainsi qu’il convient à quelqu’un empressé de manifester sa supériorité sociale.

— Une voiture, demain, à neuf heures ! ordonnai-je à l’hôtelière qui s’avançait…

— Bien, monsieur !

D’un ton plus impérieux et très digne, j’accentuai :

— Pour me conduire au château de Sonneville… avec mes bagages, n’est-ce pas ?

— Oui, monsieur…

Les palefreniers s’étaient tus ; le bull-dog, les oreilles dressées, avait pris la position du chien à l’arrêt ; et, tous les trois, ils me considéraient