Page:Oeuvres de Louis Racine, T1, 1808.djvu/154

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Et la mère des jeux, des ris et des amours,
Doit ainsi qu’à tes vers présider à mes jours.
Si l’homme cependant au bout de sa carrière,
N’a plus que le néant pour attente dernière ;
Comment puis-je goûter ces plaisirs peu flatteurs,
Du destin qui m’attend faibles consolateurs ?
Tu veux me rassurer, et tu me désespères.
Vivrai-je dans la joie, au milieu des misères,
Quand même je n’ai pas où reposer un cœur,
Las de tout parcourir en cherchant son bonheur ?
Rois, sujets, tout se plaint, et nos fleurs les plus belles
Renferment dans leur sein des épines cruelles.
L’amertume secrète empoisonne toujours
L’onde qui nous paraît si claire dans son cours.
C’est le sincère aveu que nous fait Epicure.
L’orateur du plaisir en apprend la nature.
Laissons-le discourir. ô raison, viens à moi :
Je veux seul méditer et m’instruire avec toi.
Je pense. La pensée, éclatante lumière,
Ne peut sortir du sein de l’épaisse matière.
J’entrevois ma grandeur. Ce corps lourd et grossier
N’est donc pas tout mon bien, n’est pas moi tout entier.
Quand je pense, chargé de cet emploi sublime,
Plus noble que mon corps, un autre être m’anime.
Je trouve donc qu’en moi, par d’admirables nœuds
Deux êtres opposés sont réunis entre eux :
De la chair et du sang le corps vil assemblage ;
L’âme, rayon de Dieu, son souffle, son image.
Ces deux êtres liés par des nœuds si secrets
Séparent rarement leurs plus chers intérêts :