Page:Oeuvres de Louis Racine, T1, 1808.djvu/155

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Leurs plaisirs sont communs, aussi bien que leurs peines.
L’âme guide du corps, doit en tenir les rênes ;
Mais par des maux cruels quand le corps est troublé,
De l’âme quelquefois l’empire est ébranlé.
Dans un vaisseau brisé, sans voile, sans cordage,
Triste jouet des vents, victime de leur rage,
Le pilote effrayé, moins maître que les flots,
Veut faire entendre en vain sa voix aux matelots,
Et lui-même avec eux s’abandonne à l’orage.
Il périt ; mais le nôtre est exempt du naufrage.
Comment périrait-il ? Le coup fatal au corps
Divise ses liens, dérange ses ressorts :
Un être simple et pur n’a rien qui se divise,
Et sur l’âme la mort ne trouve point de prise.
Que dis-je ? Tous ces corps dans la terre engloutis,
Disparus à nos yeux, sont-ils anéantis ?
D’où nous vient du néant cette crainte bizarre ?
Tout en sort, rien n’y rentre : et la nature avare,
Dans tous ses changements ne perd jamais son bien.
Ton art, ni tes fourneaux n’anéantiront rien,
Toi, qui riche en fumée, ô sublime alchimiste,
Dans ton laboratoire invoque trismégiste.
Tu peux filtrer, dissoudre, évaporer ce sel ;
Mais celui qui l’a fait, veut qu’il soit immortel.
Prétendras-tu toujours à l’honneur de produire,
Quand même tu n’as pas le pouvoir de détruire ?
Si du sel, ou du sable un grain ne peut périr,
L’être qui pense en moi, craindra-t-il de mourir !
Qu’est-ce donc que l’instant où l’on cesse de vivre ?
L’instant où de ses fers une âme se délivre.