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SA CORRESPONDANCE

contre un roi si puissant[1]. Comment oserai-je provoquer la colère de tant d’Universités qui sont autant d’essaims de guêpes au dard acéré ? Je vous parlerai d’abord du Roi. Voici ce qu’il faut en penser bien que tout amour soit d’habitude emporté et aveugle, — les Poètes et les Peintres sont là pour corroborer mon témoignage, — le Roi s’est montré, jusqu’ici et toujours, un homme de bon sens, il y voit clair. Bien qu’il veuille que l’affaire se traite conformément aux lois, d’après des arrêts, d’après le suffrage des hommes instruits et honnêtes, il ne prétend pas assurément employer la violence et les armes. Et, de ce côté, il fait preuve de sens et de modération dans un prince. Il faut s’en prendre à ces malheureux fléaux, à ces brouillons intempestifs qui, les premiers, ont soufflé à cet excellent prince, dont vraiment le cœur appartenait à sa femme, des idées coupables ; qui, les premiers, ont suggéré à sa délicatesse un scrupule religieux trop tardif[2] ; qui, les premiers, ont jeté du froid entre deux corps, entre deux âmes parfaitement unies, et qu’une longue suite d’années avait vues confondues dans une entente profonde et ininterrompue. Je voudrais les voir… Mais laissons ces scélérats en proie à leurs remords, aux reproches de leur conscience assurément inquiète, torturée. Ce sont des juges qui, partout où ils se réfugieront, de quelques palliatifs qu’ils cherchent à déguiser leur faute, ne seront jamais absous, si toutefois les satiriques ont raison de dire : « Prise pour juge, la conscience du coupable ne l’absoudra jamais ! »

Jusqu’ici, pourtant, nous devons, la Reine et nous, nous féliciter de ce que le Roi, quant à lui, quoiqu’il soit poussé fortement sans cesse vers des résolutions déplorables par des parasites qui iraient chercher leur pain même dans les flammes, ne veut cependant, je l’ai dit, s’en remettre qu’aux lois et à la décision des hommes compétents. Animé de ces sentiments, il ne s’irritera pas du tout, ou du moins très peu, contre ceux qui concluront contre lui, pourvu qu’ils donnent des raisonnements acceptables à l’appui, et qu’ils le fassent avec tout le respect dû à un Roi, comme du reste je suis sûr que vous le ferez ainsi[3].

Mais allons, cher Agrippa, vite à l’ouvrage Je ne puis vous dire ici en peu de mots ce que je pense c’est bien certainement à tort que nous consacrerions notre temps et nos veilles à apprendre, à nous rendre compte de la portée des lois tant humaines que divines, en un mot à trouver la vérité, si lorsque l’utilité publique réclame notre secours, quand la Piété, la Religion implorent notre appui, notre voix restait muette, si notre savoir restait caché. Nous ressemblerions alors à un homme qui, protégé par une armure complète, destinée à la défense de sa patrie, de ses pénates, oserait, en voyant l’ennemi, soit par trahison soit par crainte,

  1. Henri VIII.
  2. L’union d’Henri VIII et de Catherine d’Aragon durait alors depuis dix-huit années déjà.
  3. Eustache Chapuys parle ici en diplomate prudent. Mais Henri VIII lui donna, par les faits déplorables qui se sont succédé sans interruption dans cette affaire retentissante du divorce, un démenti douloureux. En réalité il arriva ce que Chapuys dépeint si éloquemment quelques lignes plus loin, en y ajoutant le supplice de Th. Morus, de Fisher, etc.