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HENRI CORNÉLIS AGRIPPA

jeter là ses armes ou les dissimuler. C’en est fait, cher Agrippa, de l’intégrité des mœurs ; c’en est fait de la philosophie chrétienne, si nous tenons compte du rang des hommes. Disons, après Aristote, qui était cependant un païen et qui n’est pas même exempt de quelque soupçon de flatterie d’après les écrivains : « Socrate est mon ami, Platon mon ami, le roi l’est aussi, mais je fais passer la Vérité avant eux. »

Je crois que vous entrevoyez — (il me semble pénétrer l’intime pensée de votre âme) — tout ce que la vérité, si elle se fait jour, va causer de trouble, de bruit dans cette République chrétienne déjà si éprouvée depuis quelques années. Réfléchissez cependant que vous ne ferez rien d’illogique, rien que n’aient fait déjà nos ancêtres, non moins que les Pères de l’Église. Je citerais des exemples, si, à votre égard, ce n’était pas superfétation et vouloir ajouter des flots à la mer. Pensez à Ézéchias, à qui Isaïe dit ces paroles « Dispone domui tuæ », etc. Pensez à Natham, avec quelle noble franchise, avec quelle intrépide fermeté il se prit à accuser David d’homicide et d’adultère ; après la mort du Christ, c’est Jean qui se présente comme le champion le plus redoutable de la Vérité. Modèle à suivre entre tous ! Parmi ceux d’une époque moins reculée, Chrysostome et Ambroise, doués tous les deux d’une grande force d’âme, la déploient contre des princes impies. Mais, me direz-vous, pour la plupart, cette liberté, cette franchise dont ils usèrent furent la cause de leur perte. Beaucoup reçurent la mort plusieurs récoltèrent l’exil, la haine, le mépris, d’innombrables calamités de ce genre pour salaire. À ces objections, je répondrai par un seul mot pour d’autres causes, soyez prudent pour conserver votre vie mais, dans une cause si belle, si chrétienne, il serait beau d’acheter la gloire au prix de son sang.

Bien que je vous aie dit plus haut qu’il n’y avait aucun péril à craindre, pas même la plus légère offense, je vous répéterai pourtant d’agir avec circonspection. C’est pour cela même que nous vous écrivons. Quant à la crainte que vous avez de nos Maîtres, elle est, passez-moi l’expression, — puérile. C’est une foudre en verre. Ne savez-vous pas que, depuis ces dernières années où le Monde a pris du flair, tous ces ânes bâtés ont cessé d’être un objet de terreur. On les a dépouillés de leur peau de lion. Cette Sorbona, ou, si vous le préférez, Sorbonia, ainsi que tous ses estafiers, sont purement méprisables. Rien de plus ténébreux que tous ces porteurs de lanternes, ces criards vaniteux et lâches, ces hurleurs il ne faut pas en tenir compte. Il faut les traiter comme certaines foudres que, pour cela, les physiciens désignent par l’expression de foudres brutes, parce que, bien qu’elles tombent avec un grand fracas, elles n’en sont pas moins vaines et inoffensives. Il faut imiter en cela Démosthène ses contradicteurs, s’étant permis ce degré d’impudence de se taire, de ne plus attaquer ouvertement la vérité défendue par l’orateur, celui-ci les réduisit au silence le plus absolu et le plus définitif, en leur reprochant leur synanchie (mal de gorge), et, comme l’un d’eux disait : « Ce n’est pas cela ! — C’est donc d’argyrancie que vous souffrez, » répartit Démosthène. Quant à nos criards, plus bruyants que Stentor, c’est plutôt l’appât du gain, la pâture que réclame leur ventre qui les rend ainsi. En effet, si leur décision est réellement sincère, si elle vient du fond de leur âme, ce sont des