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SA CORRESPONDANCE

sous l’autorité de votre nom ? Je le fais avec d’autant plus d’assurance que Votre Éminence m’a encouragé à répondre, à me laver d’accusations si horribles, en me recommandant toutefois modération et douceur. Par suite de cette dernière recommandation, je n’ai pu répondre avec autant de franchise, autant de véhémence que ces perfides calomniateurs l’avaient mérité. Ces gens-là, vous le savez bien, n’ont pas seulement procédé contre moi par des articles calomnieux ; ils ont adopté aussi mille moyens détournés pour me nuire en secret, allant jusqu’à des accusations capitales, employant des ruses, des fourberies assaisonnées d’aconit, subornant l’un et l’autre. Ils ont répandu contre moi tant de venin mortel soit à la Cour de l’Empereur auprès de puissants personnages, soit dans les chaires devant une foule ignorante, qu’il m’est difficile de garder mon sang-froid en face de persécutions si odieuses. Certaines de leurs calomnies sont telles qu’elles feraient sortir de son naturel l’homme le plus patient ; puis-je, dois-je même y rester insensible ? Aussi, dans la dite Apologie, si je parle un peu trop librement contre ces gens malfaisants, ne suis-je pas en droit de le faire, d’autant plus que je ne cache point mon nom et que l’Empereur m’a donné ordre de me défendre contre ces calomnies, ces accusations, ces injures ?

Du reste, ils les ont répandues au mépris de toute autorité en anonymes, en m’attaquant lâchement par derrière. Certes, je n’ignorais pas, au début de ma déclamation[1], que je récolterai la haine comme récompense de mon savoir, que je rencontrerai, étant opposé à leurs opinions, la férocité sauvage des Gymnasiarques, la politesse hypocrite des Sophistes, la fureur de nos Professeurs, les embûches des Scolastiques, les ruses des pseudo-Moines. J’avais bel et bien prévu tout cela ; mais jamais je n’aurais pu m’imaginer que, contre l’habitude des gens érudits et honnêtes, ils ne se contenteraient pas de discuter simplement mes idées, de prendre la plume pour détruire mes conclusions, ou de me provoquer à une discussion solennelle et publique, sans avoir recours à des insinuations perfides, à d’insignes calomnies pour me flétrir dans la bonne opinion de l’Empereur. Je n’ai pu ainsi leur faire voir ce dont j’étais capable comme s’ils avaient écrit et discuté ouvertement contre moi. À coup sûr, je ne redoute point leur science, mais je crains leur violence. Je n’ignore pas quel danger je cours au milieu de cette meute d’ennemis contre lesquels la lutte que j’ai entreprise me semble devoir être éternelle, surtout lorsque je vois que leur incroyable tyrannie reste impunie. Or, les professeurs d’Universités avaient coutume autrefois de me convier à des discussions publiques ; — confus maintenant de l’insuffisance de leur savoir, ils les ont prises en horreur et prétendent vaincre par la violence ce qu’ils devraient réfuter par le raisonnement.

Je connais ceux dont dépend l’opinion de César, quels sont les Théologiens qui l’assistent ; je sais combien la vérité est odieuse, mais elle triomphera devant un juge équitable ; l’innocent ne sera pas effrayé par l’accusation ; il est cependant pénible et dangereux de plaider sa cause par devant ses adversaires.

  1. De vanitate scientiarum et artium.