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SA VIE ET SON ŒUVRE

ordres pour compter des écus à quelques personnes, mais que le nom d’Agrippa ne se trouve nullement sur la liste. Bientôt on écrit d’Angoulême à Agrippa qu’un autre trésorier royal, Antoine Bullioud, fera le paiement. Ce fonctionnaire est absent, mais le pensionnaire trouve à sa place son frère Thomas, qui a bien quelques lettres où il pourrait être question de lui, mais il doit les revoir. Le lendemain, accompagné de son ami Adhémar de Beaujeu, Agrippa revient ; Thomas Bullioud sort par une autre porte et se donne du champ, laissant là se morfondre, pendant de longues heures, les deux visiteurs. La lettre écrite à Chapelain sur ce sujet par Agrippa est empreinte d’une douloureuse résignation, mais il n’ose encore donner libre cours à sa rancune.

Au milieu de ces préoccupations d’argent, la science pour lui ne saurait perdre ses droits : il ne surseoit pas un instant à sa correspondance et il ne quitte Chapelain et l’évêque de Bazas, ses dévoués protecteurs, que pour s’entretenir avec Roger Brennon, Claude Chansonnette, Le Fèvre d’Étaples et autres amis aussi anciens que fidèles. Avec eux il n’est pas question de ces banales angoisses de la vie ; on ne parle que des chères études et des espérances fondées sur les merveilleuses découvertes de l’alchimie[1]. Trois semaines se sont écoulées sans aucun règlement de sa pension. Nouvelle lettre à Chapelain : il en est réduit à ce point que, « s’il le faut », il se fera l’astrologue, le devin et le charlatan de la princesse Marguerite ; il a maintenant tout ce qu’il faut pour faire un excellent devin. La colère l’inspire ; il semble être sur un trépied, en proie à la furie divinatoire, tellement son cœur est ulcéré, tant il est surexcité par les malheurs qui l’accablent. Et il prophétise comme il le dit : il fait parvenir à la princesse des pronostics dont il vante l’infaillibilité, tout en priant Chapelain d’intercéder « afin de lui épargner la honte de ces bagatelles, de ces futilités, de ces plaisanteries ». Cette lettre tombe entre les mains de la princesse qui ne s’en montre que médiocrement satisfaite, et Chapelain l’en informe en l’engageant à écrire pour le Roi Très-Chrétien un ouvrage sur quelques questions de Christianisme que l’on ferait présenter par l’évêque de Bazas. Agrippa ne

  1. Après sa disgrâce Agrippa s’était peu à peu ressaisi et son esprit s’était graduellement raffermi : en 1527, on le voit traiter avec aisance des questions ardues de science (Epist., IV, 55, 60, 61, 70, 71 ; V, 2), surtout de physique et de physiologie. Il éclaircit également, d’une manière intéressante, certains points d’histoire sur l’origine des peuples, notamment de France et d’Allemagne, et sur les anciens documents qui s’y rapportent. Comme toujours il fait ici preuve d’un incomparable fonds d’érudition (Epist., IV, 55, 72 ; V, 1, 11).