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HENRI CORNELIS AGRIPPA

ne sais pas flatter. » La réponse à cette lettre ne se fait pas attendre.

Au cours du mois suivant, en octobre, Agrippa était à l’Église de Saint-Jean, lorsqu’un homme, paraissant animé de bonnes intentions, vint lui dire mystérieusement qu’il avait vu son nom rayé, sur les registres de la Chancellerie, de la liste des pensionnaires royaux. « Je reconnais bien là, écrit douloureusement notre philosophe, les procédés habituels aux Rois et aux Reines de ce monde ! » Puis il s’étend avec une âpre complaisance sur ses qualités méconnues, sur la servilité et la duplicité des courtisans. Enfin, prenant son parti en brave : « Eh bien ! soit, je ferai comme le voyageur qui a été dépouillé par les voleurs, je chanterai, et à présent que j’ai tout perdu, je serai libre au moins te parler et d’écrire à mon gré. » Ce qui ne l’empêche pas, sur les conseils de l’évêque de Bazas, de tenter un dernier effort auprès de la reine-mère ; mais il ne croit plus au succès, car il dit avec résignation à ses amis : « Puisque vous le désirez, je le veux bien ; mais, si cette pétition réussit, j’en serai le premier étonné. » La pétition resta longtemps sans effet ; puis tout à coup Chapelain reçoit ce triomphant billet : « Salut, mon bien cher ami, trois et quatre fois salut. Nous voilà enfin débarrassés des princes, des rois, des Ninus, des Sémiramis, de toute cette méchante engeance. Dieu soit loué ! Nous voici donc riches, pourvu toutefois que ce ne soit pas une fable. » Il s’agit d’une parcelle d’or que lui a apportée un païen de ses amis. C’est de l’or femelle qu’ils ont placé dans une cornue à long col, qu’ils font chauffer avec sollicitude. Les résultats de cette expérience doivent produire des monceaux d’or qui les rendront plus riches que Midas lui-même et il va sans dire que Chapelain aura sa part[1]. Mais ce ne fut là qu’une fausse alerte. Agrippa n’en retomba que plus meurtri dans l’humble réalité.

Faut-il diagnostiquer en lui une faiblesse d’esprit, ou plutôt cette croyance qui remonte aux sources égyptiennes, babyloniennes et gnostiques, reproduite dans les alchimistes œcuméniques[2], passée dans les écrits et les expériences du moyen âge[3], et qui admettait avec obstination la possibilité de la transformation des métaux ? Cet espoir décevant de la transmutation était entretenu par le vague des

  1. Epist., IV, 56 : « Midam ipsum vel auro superabimus vel saltem auriculis... Ex Lugduno, abs tuo auratissimo vel auriculatissimo futuro Agrippa. »
  2. Le manuscrit 2327 de la Bibl. Nat. de Paris renferme une curieuse collection de traités de 27 maîtres œcuméniques de l’œuvre alchimique, qui se partagent en 3 groupes : mythiques, apocryphes, historiques. Du second, Ostanès le Mage a émis des axiomes comme ceux-ci : « La nature se plaît dans la nature, — La nature domine la nature, — La nature triomphe de la nature. »
  3. Basile Valentin au xve siècle.