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SA VIE ET SON ŒUVRE

eut soin de placer son livre sous la protection de l’Électeur de Cologne qui, flatté d’une dédicace des plus obséquieuses, lui répondit par une lettre où s’étalent une grande admiration pour le philosophe et des remerciements d’une généreuse naïveté. D’après Agrippa, la magie est la véritable science, la philosophie la plus élevée et la plus mystérieuse, en un mot la perfection et l’accomplissement de toutes les sciences naturelles ? Mais cette publication ne fit qu’empirer le mal. D’autre part, sa situation matérielle était des plus précaires, ses appointements d’historiographe impérial ne lui avaient pas été payés depuis la mise en vente, en 1531, du livre I de sa Philosophie occulte[1] ; la pratique médicale lui était devenue impossible au sein d’une population hostile ; ses créanciers le traquaient, nul recours ; ses amis impuissants ; ses livres condamnés ; il était à prévoir que cette vie romanesque finirait par la prison. C’est ce qui arriva en effet. Au matin du 21 août, des appariteurs belges envahissent son domicile, le saisissent et le promènent à travers la ville au milieu de gens ameutés, surexcités, qui ne lui marchandent pas l’outrage. On le conduit dans un cachot de la ville de Bruxelles. Accablé tout d’abord par tant d’infortune, le prisonnier s’adresse en suppliant au cardinal Laurent Campegi, alors Légat de Clément VII auprès de la diète germanique ; puis, se redressant sous l’insulte avec cette énergie et cette fierté de caractère qui ne l’ont jamais abandonné dans les circonstances les plus difficiles, il se met à fulminer contre ses juges un réquisitoire indigné où il s’élève contre l’illégalité de son arrestation, où il proteste de la sincérité de ses intentions, où il flagelle avec âcreté ses ennemis et apprend orgueilleusement à ses juges ce que c’est que la justice qu’ils ne connaissent pas. Une telle diatribe n’était pas faite pour améliorer son sort, et l’on ne sait trop ce qu’il en serait advenu si le Cardinal-légat, à qui avait été dédié le livre de la Philosophie occulte, n’était intervenu avec le cardinal Berhard de la Mark, qui le tirèrent encore ensemble de ce mauvais pas.

  1. L’impression du traité de l’incert. et vanité des sc. fut datée ainsi au dernier feuillet : Ioan. Grapheus excudebat anno a Christo nato MDXXX mense septembri antiverpiae. Or, Agrippa avait remis immédiatement après à l’imprimeur sa Philosophie occulte, puisque cinq cahiers étaient déjà terminés au 10 janvier 1531 (Epist., VI, 14). Cette belle édition contient au folio du titre un magnifique portrait d’Agrippa qui, à mon avis, est le plus ressemblant de tous les portraits nombreux qu’on a de lui.